Victor Hugo dans le rocher des Proscrits
Du printemps 1853 à octobre 1855, Charles Hugo et Auguste Vacquerie utilisent un appareil photographique pour fabriquer des épreuves sur papier salé ou sur papier albuminé à partir de négatif en verre. Victor Hugo ne pratique pas directement la photographie mais il met en scène et se met en scène notamment dans les photographies du rocher de Jersey. Ce gout pour le portrait photographique étonne à plus d’un titre, tout d’abord la photographie et surtout ses usages artistiques et éditoriaux sont encore limités et Hugo a rarement posé devant les peintres et les sculpteurs. L’idée d’Hugo est d’illustrer Napoléon le Petit et les ouvrages à venir avec ses propres portraits photographiés. Les premiers daguerréotypes sont réalisés dans l’atelier de Marine Terrace en novembre 1852 pour illustrer les Contemplations et les Vengeresses, premier titre des futurs Châtiments. Le projet évolue en 1853 vers une autre publication sur Jersey et les îles de la Manche, ouvrage à but lucratif mais aussi de propagande puisque les clichés représentant Hugo devaient y prendre place dont les plus célèbres , ceux qui le représentent dans le rocher et sur le rocher des proscrits. Ces images ont été envoyées au rédacteur en chef de la revue Lumière-première revue française de photographies-qui décrit dans le numéro du 8 octobre, celles où Hugo n’apparaît pas car elles sont jugées trop compromettantes. L’ouvrage ne verra pas le jour car l’imprimerie photographique est encore mal maîtrisée et coûteuse. Hetzel puis d’autres éditeurs sollicités se récusent. À la place, sont réalisés des albums photographiques privés, destinés aux amis proscrits ou au cercle des intimes de la famille Hugo. On recense au total 66 portraits de Hugo à Jersey, tous ces portraits n’ont pas pour Hugo et sa famille la même valeur : le nombre des tirages retrouvés témoigne de leur importance. Trois attitudes y sont clairement distinguées : celle du poète et penseur la main au front, celle du combattant les bras croisés et le regard volontaire, celle de l’exilé en profil de médaille regardant l’horizon et la France.
- Françoise Heilbrun et Danielle Molinari (dir.), En collaboration avec le soleil, Victor Hugo . Photographies de l’exil, Paris, Réunion des musées nationaux, 1998.
- Jann Matlock, « Hugo ailleurs : la photographie de l’exil », dans Sarga Moussa et Sylvain Venayre (dir.), Le voyage et la mémoire au XIXe siècle, Paris, Creaphis Éditions, 2011, p. 303-320