Cartothèque
Itinéraires de l'exil
Itinéraire de Pierre Kropotkine, exilé anarchiste russe, entre 1881 et 1896
Après avoir été un militaire et explorateur de renom dans la Russie tsariste et tout particulièrement en Sibérie, Kropotkine s’est converti à l’anarchisme lors d’un séjour passé en Suisse. Arrêté en 1874 pour ses activités politiques en Russie, Pierre Kropotkine a alors commencé une vie d’errance et d’exil, passée entre la Suisse, la France et la Grande-Bretagne. Durant cette existence itinérante, il s’est imposé comme l’un des premiers théoriciens du mouvement anarchiste international.
Elle commence avec l’année 1881 durant laquelle Kropotkine est installé en Suisse après s’être réfugié en Grande-Bretagne. Établi à Genève, Kropotkine est expulsé et décide de franchir la frontière franco-helvétique pour fixer sa résidence avec sa femme à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), sans cesser néanmoins de faire de fréquents allers retours à Genève, sous le regard attentif des polices française et genevoise.
Après une perquisition à son domicile, en 1882, Kropotkine est arrêté pour son engagement anarchiste, condamné à cinq ans de prison par le tribunal correctionnel de Lyon, puis emprisonné à la prison de Clairvaux, dans l’Aube. À sa libération anticipée, il décide de quitter la France par la Belgique et s’installe en Grande-Bretagne. Même s’il reste établi à Londres jusqu’à la révolution de 1917, la carte ci-dessus montre comment Kropotkine, qui devait donner une importante conférence à Paris en mars 1896, est arrêté et expulsé hors du territoire français dès sa descente du bateau dans le port de Dieppe. Comme l’écrit le préfet de police de Paris au ministère de l’Intérieur dès le 20 février 1896, le « séjour, même momentané, de cet étranger en France […] paraissant comporter des dangers pour la sécurité publique », il est demandé de lui interdire l’accès au territoire en vertu de la loi du 3 décembre 1849.
L’arrêté d’expulsion étant dès lors adopté et appliqué, Kropotkine est autorisé à passer une nuit à Dieppe le 5 mars 1896, avant de s’embarquer de nouveau sur un paquebot à destination de l’Angleterre. L’expulsion de cet étranger qui devait seulement passer quelques jours à Paris dans le cadre d’une conférence donnée dans la capitale fait grand bruit, comme le montre cette affiche annonçant un « grand meeting public d’indignation contre l’expulsion de Pierre Kropotkine » le 16 mars 1896 dans une librairie du XIIe arrondissement de Paris (source : Gallica, Bibliothèque nationale de France).
Quelques années plus tard, en 1902, Kropotkine sera autorisé spécialement par le ministère de l’Intérieur à effectuer des séjours en France malgré l’arrêté d’expulsion du 20 février 1896 : il pourra ainsi passer plusieurs hivers dans le Midi pour des raisons de santé, à un âge avancé auquel il n’apparaît plus comme une menace immédiate pour la République.G. Woodcock, I. Avakoumovitch, Pierre Kropotkine. Le prince anarchiste, Paris, Calmann-Levy, 1953.
R. Garcia, La Nature de l’entraide. Pierre Kropotkine et les fondements biologiques de l’anarchisme, Paris, ENS Éditions, 2015.