Faustin, Victor Hugo, 1870

Sujet de l'oeuvre : Cette image met en scène le retour triomphant de Victor Hugo en France en 1870, après près de dix-neuf ans d’exil.
Description : Cette caricature illustre l’interversion des situations de Victor Hugo et Napoléon III. Le règne de celui-ci a pris fin de façon abrupte et humiliante et le long séjour en exil de Victor Hugo s’achève. L’écrivain est présenté comme un auteur droit, indomptable et vindicatif, à la hauteur de sa puissance littéraire, tandis que Louis-Napoléon Bonaparte, à la suite de ses mésaventures militaires, est tombé de son piédestal impérial.
Editeur : La version de cette caricature provient des collections spéciales de l’Université de Sussex (Brighton).
Date : Novembre 1870.
Type : lithographie sur papier colorié à la main, produite parLemaine et fils.
Gestion des droits : Domaine public
Source : Collections spéciales de l’Université de Sussex (Brighton).  Item SxMs 162/3/9.
Auteur de la notice : Thomas C. Jones (traduit de l'Anglais par Hugo Vermeren)
Institution de rattachement : University of Buckingham
À la fin du Second Empire (1852-1870), Victor Hugo s’impose comme l’un des plus farouches et virulents opposants à Napoléon III. Les racines de leur antagonisme remontent aux turbulences politiques de la Seconde République (1848-1852). Bien qu’optimiste au moment de l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République en décembre 1848, Hugo a été révolté par le recours du nouveau président à la répression et à la censure, ainsi que par son alliance avec le parti conservateur et monarchiste de « l’Ordre ». Le passage à gauche de Hugo durant ces années, au cours desquelles il devient un républicain convaincu, et plus modérément un socialiste et un internationaliste, se confirme dans son opposition au coup d’État de Bonaparte le 2 décembre 1851. Après avoir vainement tenté d’organiser une opposition à Paris, il échappe à l’emprisonnement et s’exile dans un premier temps en Belgique, puis à Jersey et enfin à Guernesey. Lors de son séjour dans les îles anglo-normandes, Hugo rédige de nombreux discours, livres et poésies contre le désormais empereur Napoléon III. Ses écrits polémiques, notamment Napoléon le petit et Les Châtiments, circulent clandestinement en France et connaissent un retentissement mondial. En 1859, Hugo rejette l’offre d’amnistie de Napoléon III et jure de rester en exil jusqu’à ce que la France redevienne une république, promesse qu’il tient en rentrant d’abord en Belgique au début de la guerre franco-prussienne de 1870, avant de franchir la frontière française en septembre 1870. Faustin Betbeder (1847-1914 ?) est un caricaturiste prolifique au début des années 1870. Utilisant le pseudonyme « Faustin » en 1870-1871, il ironise sur l’incompétence militaire de Napoléon III, la fuite humiliante de la famille Bonaparte en exil, les insuffisances du nouveau gouvernement républicain de la Défense nationale, l’empressement des politiciens à vouloir à tout prix la paix avec la Prusse, l’égoïsme bourgeois pendant le siège prussien de Paris, ou encore la violente répression de la Commune de Paris. Après la lutte de ce que Hugo désignait comme « l’année terrible », Faustin s’installe en Grande-Bretagne. Il y fonde son imprimerie et collabore au London Figaro. Il produit alors des caricatures d’imminentes personnalités britanniques, parmi lesquelles la reine Victoria, Benjamin Disraeli et Charles Darwin. Beaucoup d’entre elles sont encore conservées à Londres dans les collections du Victoria and Albert Museum et de la National Portrait Gallery. Son « Victor Hugo », produit en novembre 1870, saisit ce moment où les trajectoires de Hugo et Bonaparte s’inversent. Le poète revient en triomphe dans la vie publique française tandis que l’empereur chute rapidement du pouvoir.

Victor Hugo se dresse triomphalement au centre de l’image, regardant fixement au-delà de son ancien proscripteur, qui se trouve à ses pieds, vaincu. Il tient, dans main droite, la plume de la justice (« Justicier »), de laquelle se répand l’encre de la vérité (« Veritas »). Sous son bras gauche, Hugo tient Les Châtiments, certainement sa polémique anti-bonapartiste la plus célèbre, la plus populaire et la plus efficace. Publié en 1853, Les Châtimentsest un recueil de 97 poèmes répartis en sept livres, dont chacun fait écho aux slogans et déclarations prononcées par Louis-Napoléon Bonaparte pour justifier le coup d’État et l’instauration du Second Empire (« Livre I : la société est sauvée » ; Livre II : l’Ordre est rétabli » ; « Livre VI : la stabilité est assurée », etc). En revenant sur la violence du coup d’État et de ses conséquences répressives, les poèmes attaquent Napoléon III et ses soutiens dans l’armée, le clergé, la magistrature et la société en général.

Les Châtiments font également ressortir le ressentiment de Victor-Hugo envers l’empire, comme l’illustre la fin du poème « Ultima Verba » avec la promesse « J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme / … S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! ». Bien qu’interdit en France, Les Châtiments a été publié et reproduit clandestinement plusieurs fois à l’étranger au cours des années 1850 et 1860. Il est d’ailleurs significatif que Faustin spécifie l’édition tenue par Hugo dans cette image, « Paris 1870 ». Elle représente la première édition légale qui paraît en France, publiée peu de temps après la chute du Second Empire. Celle-ci intègre plusieurs poèmes inédits, ainsi qu’une préface intitulée « Au moment de rentrer en France ». Alors que les armées prussiennes encerclent Paris à la fin de l’année 1870, des lectures publiques des poèmes de Hugo servent  à recueillir des fonds pour la défense de la ville. Ce détail dans l’illustration souligne ainsi le triomphe final de Hugo sur Napoléon III, mais aussi le poids de son implication dans la défense de la France face à son nouvel ennemi prussien.

Napoléon III, dans son costume impérial, est jeté à terre. Son pied est enchaîné à un boulet de canon qui lui pèse, symbole de la défaite qu’il a lui-même provoquée en déclarant la guerre contre la Prusse en juillet 1870, signe du destin prédit de longue date par sesennemis. Présenté dans le pamphlet Napoléon le petit comme un héritier indigne de son oncle Napoléon Ier, Napoléon III est décrié comme un belliciste qui, en tentant d’imiter la gloire martiale du Premier Empire, orchestre sa propre chute. Pendant son exil, Hugo condamne, à travers diverses publications, les entreprises militaires bonapartistes en Crimée, en Italie, en Chine et au Mexique. La bataille de Sedan (1er-2 septembre 1870), durant laquelle Napoléon III est fait prisonnier, apparaît comme attendue. Comme l’écrit Hugo quelques années plus tard, « les dix-huit brumaire enfantent Waterloo, les deux décembre enfantent Sedan ».

Cette interprétation est retranscrite par Faustin dans le texte qu’il inclut au bas de l’image, tiré des dernières lignes du poème « Toulon » des Châtiments, rédigé par Hugo dans les premiers jours de son exil :

« Va, bandit ! [« maudit » dans le poème original] Ce boulet que, dans des temps stoïques,
Le grand soldat, sur qui ton opprobre s’assied,
Mettait dans les canons de ses mains héroïques,
Tu le traîneras à ton pied ! »


- Susan Lambert, The Franco-Prussian War and the Commune in Caricature, 1870-71 (London, 1971).    
- Victor Hugo, Châtiments, Saint-Hélier, 1853.
- Victor Hugo, Les Châtiments, Paris, 1870.