Victor Hugo dans le rocher des Proscrits

Sujet de l'oeuvre : L’exil de Victor Hugo à Jersey
Editeur : Musée d’Orsay
Date : 1853
Type : Epreuve sur papier salé
Gestion des droits : Paris, Musée d'Orsay (Don de Mme Marie-Thérèse et M. André Jammes, 1984)
Auteur de la notice : Sylvie Aprile
Institution de rattachement : Université Paris Ouest-Nanterre
L’usage de la photographie suit de peu l’arrivée de Victor Hugo et sa famille à Jersey au mois d’août 1852. En novembre de la même année, Adèle sa fille note dans son journal « nous faisons du daguerréotype », mais très vite la famille Hugo se lance dans la photographie. Charles se rend à Caen pour en apprendre les rudiments auprès d’Edmond Bacot. L’entourage d’Hugo défile devant l’appareil et constitue une galerie de portraits qui sont ensuite rassemblés en albums. On y retrouve des exilés français (Charles Ribeyrolles futur directeur du journal l’Homme, Bonnet Duverdier, Pierre Leroux, Jules Allix,) mais aussi étrangers (les Hongrois Telecki et Meszaros). La photographie n’est pas seulement un passe-temps, un moyen de fixer les images des proscrits , elle est partie intégrante de la politique en exil. Hugo écrit en effet à l’éditeur Jules Hetzel en juin 1853 : « c’est donc la révolution photographique que nous voulons faire », ajoutant entre parenthèses « en attendant » une autre révolution ou du moins la fin de l’Empire. La photographie est un moyen de propagande moderne : l’image de Victor Hugo sur le rocher contemplant la France est une manière de rappeler à l’Empereur sa résistance et celle des autres exilés. L’envoi de ces clichés est aussi un moyen d’abolir les distances. Hugo compte bombarder l’Empire avec ces images et n’hésite pas à adresser un des premiers daguerréotypes à l’Empereur en accompagnement à Napoléon le Petit. L’usage de la photographie en exil n’est pas réservé à la famille Hugo, de nombreux proscrits se lancent dans cette production le plus souvent pour des raisons alimentaires. La photographie ne nécessite pas de connaître la langue locale, elle est une activité en pleine expansion. À Bruxelles, à Londres, plusieurs proscrits ouvrent des ateliers photographiques et déposent des brevets. Victor Frond, qui s’est initié à la photographie à Lisbonne, devient lorsqu’il s’installe au Brésil en 1858 le photographe de la famille de l’Empereur. Il publie ensuite avec Charles Ribeyrolles le premier ouvrage de reportage-photo sur le Brésil, le Brésil Pittoresque en 1859.

Du printemps 1853 à octobre 1855, Charles Hugo et Auguste Vacquerie utilisent un appareil photographique pour fabriquer des épreuves sur papier salé ou sur papier albuminé à partir de négatif en verre. Victor Hugo ne pratique pas directement la photographie mais il met en scène et se met en scène notamment dans les photographies du rocher de Jersey. Ce gout pour le portrait photographique étonne à plus d’un titre, tout d’abord la photographie et surtout ses usages artistiques et éditoriaux sont encore limités et Hugo a rarement posé devant les peintres et les sculpteurs. L’idée d’Hugo est d’illustrer Napoléon le Petit et les ouvrages à venir avec ses propres portraits photographiés. Les premiers daguerréotypes sont réalisés dans l’atelier de Marine Terrace en novembre 1852 pour illustrer les Contemplations et les Vengeresses, premier titre des futurs Châtiments. Le projet évolue en 1853 vers une autre publication sur Jersey et les îles de la Manche, ouvrage à but lucratif mais aussi de propagande puisque les clichés représentant Hugo devaient y prendre place dont les plus célèbres , ceux qui le représentent dans le rocher et sur le rocher des proscrits. Ces images ont été envoyées au rédacteur en chef de la revue Lumière-première revue française de photographies-qui décrit dans le numéro du 8 octobre, celles où Hugo n’apparaît pas car elles sont jugées trop compromettantes. L’ouvrage ne verra pas le jour car l’imprimerie photographique est encore mal maîtrisée et coûteuse. Hetzel puis d’autres éditeurs sollicités se récusent. À la place, sont réalisés des albums photographiques privés, destinés aux amis proscrits ou au cercle des intimes de la famille Hugo. On recense au total 66 portraits de Hugo à Jersey, tous ces portraits n’ont pas pour Hugo et sa famille la même valeur : le nombre des tirages retrouvés témoigne de leur importance. Trois attitudes y sont clairement distinguées : celle du poète et penseur la main au front, celle du combattant les bras croisés et le regard volontaire, celle de l’exilé en profil de médaille regardant l’horizon et la France.


- Pierre Georgel, « De l’inspiré au voyant », La Gloire de Victor Hugo, catalogue de l’exposition, Paris , Galeries nationales du Grand Palais, 1965, p. 103-109.
- Françoise Heilbrun et Danielle Molinari (dir.), En collaboration avec le soleil, Victor Hugo . Photographies de l’exil, Paris, Réunion des musées nationaux, 1998.
- Jann Matlock, « Hugo ailleurs : la photographie de l’exil », dans Sarga Moussa et Sylvain Venayre (dir.), Le voyage et la mémoire au XIXe siècle, Paris, Creaphis Éditions, 2011, p. 303-320