Faustin, Victor Hugo, 1870
Victor Hugo se dresse triomphalement au centre de l’image, regardant fixement au-delà de son ancien proscripteur, qui se trouve à ses pieds, vaincu. Il tient, dans main droite, la plume de la justice (« Justicier »), de laquelle se répand l’encre de la vérité (« Veritas »). Sous son bras gauche, Hugo tient Les Châtiments, certainement sa polémique anti-bonapartiste la plus célèbre, la plus populaire et la plus efficace. Publié en 1853, Les Châtimentsest un recueil de 97 poèmes répartis en sept livres, dont chacun fait écho aux slogans et déclarations prononcées par Louis-Napoléon Bonaparte pour justifier le coup d’État et l’instauration du Second Empire (« Livre I : la société est sauvée » ; Livre II : l’Ordre est rétabli » ; « Livre VI : la stabilité est assurée », etc). En revenant sur la violence du coup d’État et de ses conséquences répressives, les poèmes attaquent Napoléon III et ses soutiens dans l’armée, le clergé, la magistrature et la société en général.
Les Châtiments font également ressortir le ressentiment de Victor-Hugo envers l’empire, comme l’illustre la fin du poème « Ultima Verba » avec la promesse « J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme / … S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! ». Bien qu’interdit en France, Les Châtiments a été publié et reproduit clandestinement plusieurs fois à l’étranger au cours des années 1850 et 1860. Il est d’ailleurs significatif que Faustin spécifie l’édition tenue par Hugo dans cette image, « Paris 1870 ». Elle représente la première édition légale qui paraît en France, publiée peu de temps après la chute du Second Empire. Celle-ci intègre plusieurs poèmes inédits, ainsi qu’une préface intitulée « Au moment de rentrer en France ». Alors que les armées prussiennes encerclent Paris à la fin de l’année 1870, des lectures publiques des poèmes de Hugo servent à recueillir des fonds pour la défense de la ville. Ce détail dans l’illustration souligne ainsi le triomphe final de Hugo sur Napoléon III, mais aussi le poids de son implication dans la défense de la France face à son nouvel ennemi prussien.
Napoléon III, dans son costume impérial, est jeté à terre. Son pied est enchaîné à un boulet de canon qui lui pèse, symbole de la défaite qu’il a lui-même provoquée en déclarant la guerre contre la Prusse en juillet 1870, signe du destin prédit de longue date par sesennemis. Présenté dans le pamphlet Napoléon le petit comme un héritier indigne de son oncle Napoléon Ier, Napoléon III est décrié comme un belliciste qui, en tentant d’imiter la gloire martiale du Premier Empire, orchestre sa propre chute. Pendant son exil, Hugo condamne, à travers diverses publications, les entreprises militaires bonapartistes en Crimée, en Italie, en Chine et au Mexique. La bataille de Sedan (1er-2 septembre 1870), durant laquelle Napoléon III est fait prisonnier, apparaît comme attendue. Comme l’écrit Hugo quelques années plus tard, « les dix-huit brumaire enfantent Waterloo, les deux décembre enfantent Sedan ».
Cette interprétation est retranscrite par Faustin dans le texte qu’il inclut au bas de l’image, tiré des dernières lignes du poème « Toulon » des Châtiments, rédigé par Hugo dans les premiers jours de son exil :
« Va, bandit ! [« maudit » dans le poème original] Ce boulet que, dans des temps stoïques,
Le grand soldat, sur qui ton opprobre s’assied,
Mettait dans les canons de ses mains héroïques,
Tu le traîneras à ton pied ! »
- Victor Hugo, Châtiments, Saint-Hélier, 1853.
- Victor Hugo, Les Châtiments, Paris, 1870.