L’exil polonais en France à travers l’oeuvre de Josef Szermentowski

Sujet de l'oeuvre : L’exil polonais en France
Editeur : Musée historique de la ville de Kielce (Pologne)
Date : 1872
Type : Huile sur toile
Gestion des droits : wikicommons, www.mhki.kielce.eu
Source : Ewa Bobrowska, le milieu artistique polonais en France, catalogue Polonia, p 166.
Auteur de la notice : Sylvie Aprile
Institution de rattachement : Université Paris Nanterre
L’échec de l’insurrection de 1830 anéantit les espoirs de renaissance d’un État polonais. La répression qui suit, conduit à l’exil de ses partisans. Elle a aussi pour conséquence la destruction des institutions artistiques dont le pouvoir se méfie. L’université de Varsovie et son département des Beaux-Arts sont fermés, les expositions artistiques interdites, les collections privées sont spoliées. Il n’existe plus sur le territoire polonais aucune institution artistique entre 1831 et 1854, date de la création de l’association des Amis des arts. Ceci explique le départ de nombreux jeunes artistes vers l’Europe de l’ouest et surtout vers la France, qu’il s’agisse ou non d’exilés politiques. C’est dans ces milieux de l’exil qu’émerge la nécessité de créer une peinture polonaise nationale et patriote. Elle prend une expression variée et suscite des débats : certains artistes se consacrent à l’étude de la campagne polonaise, reproduisant dans un style réaliste les paysages du pays qu’ils ont quitté et traduisant leur nostalgie par la peinture de décors désolés et en ruine. D’autres à l’opposé, choisissent de peindre des scènes historiques évoquant le passé lointain ou récent de la Pologne (cf. le Cycle Polonia  d’Artur Grottger sur l’insurrection de 1863 et sa répression). Nombre d’entre eux s’inspirent de la période napoléonienne qui a vu la reconstitution éphémère du Grand-duché de Varsovie. Sous l’Empire, une armée polonaise qui atteignit jusqu’à 100 000 hommes a combattu dans les rangs français, depuis Madrid jusqu’à Moscou : sa contribution à la victoire française de Friedland sur les Russes (14 juin 1807) incita l’Empereur des Français à restaurer un petit État polonais indépendant sous la forme du Grand-Duché de Varsovie, qui fut agrandi après la nouvelle victoire commune de Wagram (5 juin 1809), passant de 102 000 à 155 000 km2 et de 2,6 à 4,3 millions d’habitants. Les artistes se retrouvent souvent dans les mêmes ateliers dont celui de Léon Cogniet, sympathisant de la cause polonaise, qui accueille de nombreux peintres, dont Rodakowski, qui peint le portrait du  général Henryk Dembinski, soldat de Napoléon qui a fait la campagne de Russie et est l’un des chefs de l’insurrection de novembre 1830. Ce tableau obtient la médaille de première classe au salon de Paris de 1852. Josef Szermentowski a connu une carrière moins brillante, il est mort dans la misère, sa carrière fut assez brève en raison de ses problèmes de santé. Formé à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, il obtient une bourse pour séjourner à Paris en 1860 et partage ensuite son existence entre la France et la  Pologne. Ses tableaux appartiennent à la fois aux genre réaliste et postromantique, inspiré par l’école de Barbizon.  Il est inhumé comme Cyprien Norwid, son ami peintre et poète, au cimetière des Champeaux de Montmorency, devenu le lieu de repos éternel des Polonais exilés en France.

Analyse et interprétation des images

Le tableau de Jozef Szermentowski n’est pas immédiatement identifiable comme un tableau sur l’exil. Il est néanmoins l’un des témoignages les plus marquants et poignants de la nostalgie et de la douleur de l’émigration polonaise.

Il représente une mère habillée de noir, veuve, et ses deux enfants, deux jeunes garçons.  Le plus âgé est assis sur ses genoux et l’autre, qui est encore un bébé, est dans une chaise haute d’enfant. La mère indique à l’aîné sur une carte de l’Europe la place de son pays : la Pologne. Ses yeux baissés semblent aussi indiquer que les larmes ne sont pas loin de couler de ses yeux. À ses pieds, un chien qui est au premier plan du tableau incarne également la fidélité à la patrie perdue. Un soldat de plomb renversé, tombé de son cheval, rappelle la place de l’armée polonaise dans la lutte pour l’indépendance de la Pologne et dans l’armée napoléonienne. Le bébé dans sa chaise, semble étranger à la scène ; son visage est tourné vers l’intérieur de la pièce. Il tient à la main un moulinet en forme de rosace, bleu, blanc et rouge évoquant les couleurs nationales, polonaises et françaises. Son regard tend vers la fenêtre qui est ouverte et qui donne à l’œuvre un caractère moins sombre. On voit en effet au-delà du balcon fleuri, les tours de Notre-Dame. Cette référence parisienne et religieuse est à la fois une allusion à l’émigration polonaise en France mais aussi au soutien de l’Église catholique à la cause polonaise. Le père n’est pas absent de la scène : il est présent dans un grand portrait accroché au mur. Il s’agit en réalité d’un autoportrait du peintre, lui-même marié et père de deux enfants dont l’un mort en bas âge. Ce tableau souligne la place de d’éducation dans la vie des exilés. On cite volontiers l’école des Batignolles et d’autres institutions qui ont permis aux Polonais de maintenir l’usage de langue, de la culture et de la religion, mais il faut certainement, comme le montre ce tableau, insister sur le rôle de la famille et des mères dans ce maintien des valeurs patriotiques polonaises. Le peintre réalise son tableau alors que, dans la partie allemande de la Pologne, les « lois de mai » 1873 concernant la « formation et la nomination des ecclésiastiques » imposent aux candidats un examen de culture générale allemande, afin de « germaniser » le clergé catholique allemand. D’autres tableaux de Josef Szermentowski évoquent la Pologne. Le vétéran et l’enfant dans le parc ou l’adoubement par le père (1868) représente la relation entre l’époque napoléonienne qui a vu la renaissance éphémère de la Pologne et l’avenir de celle-ci incarnée par l’enfant. Stacone Gniazdo (foyers dévastés) représente une image triste et désolée d’un village de la région de Kielce, allégorie de la défaite de l’insurrection de janvier 1863.


- Edyta Chlebowska, Studia Norwidiana, 2016, 34, Lost Nest Norwid, Szermtowski, p. 81-99.    
- Ewa Bobrowska, « Le milieu artistique polonais en France », dans Janine Ponty (dir.), Polonia, des Polonais en France depuis 1830, Catalogue de l’exposition Polonia, des Polonais en France depuis 1830, Paris, Cité nationale de l’histoire de l’immigration/Montag, 2011, p. 166-171.
- Pologne, 1840-1918, peindre l’âme d’une nation, Snoeck Louvre Lens, éditeurs, 2019.