L’exil polonais en France à travers l’oeuvre de Josef Szermentowski
Analyse et interprétation des images
Le tableau de Jozef Szermentowski n’est pas immédiatement identifiable comme un tableau sur l’exil. Il est néanmoins l’un des témoignages les plus marquants et poignants de la nostalgie et de la douleur de l’émigration polonaise.
Il représente une mère habillée de noir, veuve, et ses deux enfants, deux jeunes garçons. Le plus âgé est assis sur ses genoux et l’autre, qui est encore un bébé, est dans une chaise haute d’enfant. La mère indique à l’aîné sur une carte de l’Europe la place de son pays : la Pologne. Ses yeux baissés semblent aussi indiquer que les larmes ne sont pas loin de couler de ses yeux. À ses pieds, un chien qui est au premier plan du tableau incarne également la fidélité à la patrie perdue. Un soldat de plomb renversé, tombé de son cheval, rappelle la place de l’armée polonaise dans la lutte pour l’indépendance de la Pologne et dans l’armée napoléonienne. Le bébé dans sa chaise, semble étranger à la scène ; son visage est tourné vers l’intérieur de la pièce. Il tient à la main un moulinet en forme de rosace, bleu, blanc et rouge évoquant les couleurs nationales, polonaises et françaises. Son regard tend vers la fenêtre qui est ouverte et qui donne à l’œuvre un caractère moins sombre. On voit en effet au-delà du balcon fleuri, les tours de Notre-Dame. Cette référence parisienne et religieuse est à la fois une allusion à l’émigration polonaise en France mais aussi au soutien de l’Église catholique à la cause polonaise. Le père n’est pas absent de la scène : il est présent dans un grand portrait accroché au mur. Il s’agit en réalité d’un autoportrait du peintre, lui-même marié et père de deux enfants dont l’un mort en bas âge. Ce tableau souligne la place de d’éducation dans la vie des exilés. On cite volontiers l’école des Batignolles et d’autres institutions qui ont permis aux Polonais de maintenir l’usage de langue, de la culture et de la religion, mais il faut certainement, comme le montre ce tableau, insister sur le rôle de la famille et des mères dans ce maintien des valeurs patriotiques polonaises. Le peintre réalise son tableau alors que, dans la partie allemande de la Pologne, les « lois de mai » 1873 concernant la « formation et la nomination des ecclésiastiques » imposent aux candidats un examen de culture générale allemande, afin de « germaniser » le clergé catholique allemand. D’autres tableaux de Josef Szermentowski évoquent la Pologne. Le vétéran et l’enfant dans le parc ou l’adoubement par le père (1868) représente la relation entre l’époque napoléonienne qui a vu la renaissance éphémère de la Pologne et l’avenir de celle-ci incarnée par l’enfant. Stacone Gniazdo (foyers dévastés) représente une image triste et désolée d’un village de la région de Kielce, allégorie de la défaite de l’insurrection de janvier 1863.
- Ewa Bobrowska, « Le milieu artistique polonais en France », dans Janine Ponty (dir.), Polonia, des Polonais en France depuis 1830, Catalogue de l’exposition Polonia, des Polonais en France depuis 1830, Paris, Cité nationale de l’histoire de l’immigration/Montag, 2011, p. 166-171.
- Pologne, 1840-1918, peindre l’âme d’une nation, Snoeck Louvre Lens, éditeurs, 2019.