Antonio Ciseri, L’Esule
L’exil est ici présenté sous la forme allégorique d’un homme assis dans une posture pensive et mélancolique, la tête appuyée sur la main, plongé dans la contemplation d’un paysage désert. Allégorie, certes, mais aussi peinture réaliste, qui se démarque des grandes fresques historiques que Ciseri avaient peintes jusque-là pour livrer une représentation aussi fidèle que possible de la condition de l’exilé : la pauvreté de son vêtement, son manteau râpé et troué à l’épaule, ses chaussures usées par la marche, sa barbe mal taillée et la tristesse d’ensemble qui se dégage de la peinture donnent une image saisissante du déchirement de l’expatriation et de la dureté de la vie en exil.
Le gris de l’arrière-plan évoque le pays de départ, dont le souvenir s’éloigne avec mélancolie. Les deux plans sont symboliquement séparés par ce qui pourrait être un arbuste en feu. Ce feu peut avoir une dimension menaçante, dans la mesure où il évoque la guerre que le migrant a dû fuir, à un moment où la Deuxième Guerre d’indépendance fait rage en Italie. Mais le feu symbolise aussi le foyer, celui que l’exilé a dû fuir, et qui l’accompagne dans son voyage. Il évoque enfin une présence divine, en rappelant le « buisson ardent », forme sous laquelle Dieu apparaît à Moïse sur le Mont Horeb dans le Livre de l’Exode. Cela permet en filigrane de situer l’exil patriotique des Italiens dans la continuité de l’exode des Juifs, autre peuple exilé et sans État chassé d’Égypte.Le buisson, pourtant, semble avoir perdu de son ardeur et paraît en voie de se consumer. Plus généralement, cette flamme presque éteinte mais qui s’obstine à brûler évoque un combat politique qui se poursuit malgré l’épreuve et qui est en voie d’être gagné en ces années d’unification de l’Italie.
Notons enfin que l’exil est ici représenté sous la forme d’un homme, chose plutôt rare dans les allégories, ce qui témoigne de l’omniprésence du masculin dans cette institution. Non que les femmes soient absentes des mouvements de migration contraints, mais là plus qu’ailleurs elles apparaissent comme accompagnant un mouvement qui frappe d’abord leurs maris.
- Adrian Lytteltown, « The Hero and the People »,in SilvanaPatriarcaetLucy Riall, The Risorgimento Revisited: Nationalism and Culture in Nineteenth-Century Italy, Palgrave: Basingstoke, 2012.