Antonio Ciseri, L’Esule

Sujet de l'oeuvre : Allégorie de l’exil sous la forme d’un homme en méditation.
Editeur : Lugano, Museo Civico di Belle Arti.
Date : vers 1860.
Type : huile sur toile.
Gestion des droits : libre de droits
Auteur de la notice : Antonin Durand
Institution de rattachement : École normale supérieure de Paris
Natif de Roncosopra Ascona dans le Tessin, Antonio Ciseri (1821-1891) s’est installé avec sa famille dès ses douze ans à Florence, où son père tient une boutique de peinture d’ornement. C’est là qu’il apprend les rudiments de la peinture. Formé par différents professeurs privés puis à l’Académie des Beaux-Arts, il est d’abord connu pour ses œuvres historiques (il présente en 1839 des croquis pour une Mort de Laurent le Magnifique et un Dante dans l’atelier de Giotto au concours de l’Académie de Florence) et religieuses (Saint Jean réprimandant Hérode et Hérodiade en 1842), qui lui valent une nomination comme professeur à l’Académie de Florence en 1852. Sa première peinture figurant un exilé, un Giano della Bella partant de Florence pour un exil volontaire, est exposée à Florence en 1852, mais c’est la Deuxième Guerre d’indépendance italienne, qui commence en 1859, et les mouvements de population qu’elle occasionne, qui lui inspirent son tableau le plus célèbre, L’Exilé (L’Esule), peint au cours des années 1860. La Toscane, qui avait vu partir en exil nombre de ses ressortissants en même temps qu’elle accueillait une première vague d’exilés en 1848 puis avec le retour du Grand-Duc Léopold II en 1849, est familière de cette figure. La guerre de 1859 ne provoque certes pas un mouvement aussi massif, mais le rattachement relativement pacifique du Grand-Duché au Royaume de Sardaigne, par un plébiscite de mars 1860, en fait une terre de refuge pour les insurgés du Royaume des Deux-Siciles et surtout des États du pape. Dans le même temps, le triomphe de la monarchie libérale et la proclamation de l’État italien confèrent aux anciens exilés patriotes un immense prestige et donnent du sens à leur sacrifice, ce qui en fait un sujet prisé des artistes. Ironiquement, pourtant, l’auteur de ce tableau plein de commisération pour les expatriés est lui-même un précurseur de l’exil… fiscal. Né suisse mais installé en Italie, il ne demande à obtenir la nationalité italienne qu’en 1877, seize ans après l’unification du pays, et pour échapper aux taxes spécifiques imposées aux artistes par le canton du Tessin.

L’exil est ici présenté sous la forme allégorique d’un homme assis dans une posture pensive et mélancolique, la tête appuyée sur la main, plongé dans la contemplation d’un paysage désert. Allégorie, certes, mais aussi peinture réaliste, qui se démarque des grandes fresques historiques que Ciseri avaient peintes jusque-là pour livrer une représentation aussi fidèle que possible de la condition de l’exilé : la pauvreté de son vêtement, son manteau râpé et troué à l’épaule, ses chaussures usées par la marche, sa barbe mal taillée et la tristesse d’ensemble qui se dégage de la peinture donnent une image saisissante du déchirement de l’expatriation et de la dureté de la vie en exil.

Le gris de l’arrière-plan évoque le pays de départ, dont le souvenir s’éloigne avec mélancolie. Les deux plans sont symboliquement séparés par ce qui pourrait être un arbuste en feu. Ce feu peut avoir une dimension menaçante, dans la mesure où il évoque la guerre que le migrant a dû fuir, à un moment où la Deuxième Guerre d’indépendance fait rage en Italie. Mais le feu symbolise aussi le foyer, celui que l’exilé a dû fuir, et qui l’accompagne dans son voyage. Il évoque enfin une présence divine, en rappelant le « buisson ardent », forme sous laquelle Dieu apparaît à Moïse sur le Mont Horeb dans le Livre de l’Exode. Cela permet en filigrane de situer l’exil patriotique des Italiens dans la continuité de l’exode des Juifs, autre peuple exilé et sans État chassé d’Égypte.Le buisson, pourtant, semble avoir perdu de son ardeur et paraît en voie de se consumer. Plus généralement, cette flamme presque éteinte mais qui s’obstine à brûler évoque un combat politique qui se poursuit malgré l’épreuve et qui est en voie d’être gagné en ces années d’unification de l’Italie.

Notons enfin que l’exil est ici représenté sous la forme d’un homme, chose plutôt rare dans les allégories, ce qui témoigne de l’omniprésence du masculin dans cette institution. Non que les femmes soient absentes des mouvements de migration contraints, mais là plus qu’ailleurs elles apparaissent comme accompagnant un mouvement qui frappe d’abord leurs maris.


- Omaggio ad Antonio Ciseri 1821-1891. Dipinti e disegni delle Gallerie Fiorentine, Firenze 1991.
- Adrian Lytteltown, « The Hero and the People »,in SilvanaPatriarcaetLucy Riall, The Risorgimento Revisited: Nationalism and Culture in Nineteenth-Century Italy, Palgrave: Basingstoke, 2012.