L’arrivée à Paris des premiers déportés communards amnistiés, 1879
La gravure présente tout à la fois la curiosité du public et des retrouvailles émouvantes. L’atmosphère nocturne et le réverbère au centre du dessin mettent l’accent sur l’arrivée de ce premier convoi en pleine nuit. Aux curieux perchés pour prendre de la hauteur répondent les groupes qui entourent les amnistiés arrivés, femmes enlaçant les hommes, enfants et autres personnages d’une foule que la presse et les rapports de police décrivent comme majoritairement populaire. Blouses, vareuses et barbes, et des baluchons à terre renfermant sans aucun doute de maigres effets sont là pour donner une touche pittoresque. Le lecteur ne peut qu’y être sensible ; d’autant que l’autre illustration du numéro, composée de plusieurs croquis sur le débarquement du Var à Port-Vendres, dont l’un représente quelques « types d’après nature », cherche à mettre l’accent sur l’originalité, voire l’exotisme de ces hommes revenant de Nouvelle-Calédonie.
Après le vote de l’amnistie partielle, les autorités publiques ont dû se préparer à organiser le retour des communards en métropole et en particulier à Paris. Elles y attachent un grand intérêt, du fait des enjeux qui accompagnent la loi d’amnistie de 1879 : la nouvelle République qui se met en place accueille les anciens insurgés de 1871, dans une volonté de réconciliation nationale et d’intégration. Ce faisant, elle montre aussi sa force et sa capacité à la pacification, elle ne craint pas ce retour et est assurée qu’il ne provoquera aucun trouble. Néanmoins, l’enjeu est d’autant plus grand que l’amnistie totale n’a pas encore été votée et que la campagne pour l’obtenir bat son plein après le vote de l’amnistie partielle. Les radicaux se distinguent dans ce combat, faisant entendre leurs voix face aux républicains plus modérés ; mais les « socialistes » mènent aussi la bataille.
Ainsi, à la fin du mois d’août 1879, la surveillance des quartiers populaires de Paris s’intensifie. Le train spécial venant de Port-Vendres, attendu dans la soirée, vers vingt heures, entre en gare vers 4 heures du matin, conséquence du retard pris sur le trajet mais surtout de la volonté affichée de l’administration d’éviter une trop grande foule et, de façon générale, tout incident. On ne peut rester que dans les approximations, mais le 2 septembre au soir, les rapports de police mentionnent la présence de plusieurs milliers de personnes venues attendre le convoi. Elles seraient encore plusieurs centaines quand le train arrive. Les amnistiés retrouvent ainsi des parents ou des proches, auxquels se mêlent les journalistes. Ceux qui sont seuls peuvent bénéficier d’un repas sommaire et d’un secours immédiat de 2 francs, offerts par quelques membres de comités d’arrondissements dépendants du Comité central d’aide aux amnistiés. Bien que le retour des communards soit couvert par la presse comme un événement national, l’arrivée du premier convoi à Paris se fait sans la présence de personnalités politiques. Cependant, des députés ou des conseillers municipaux parisiens radicaux seront là pour les autres rapatriements de l’automne dans la capitale.
Aucun secours officiel n’est organisé. Le Comité central d’aide aux amnistiés, sous la houlette de Victor Hugo et de Louis Blanc, acquiert donc une quasi-légitimité officielle. Le comité radical n’est pas le seul dans l’organisation des secours, puisqu’existe aussi un « comité socialiste d’aide aux amnistiés et non-amnistiés ». Ce dernier n’a certes ni la reconnaissance ni le poids financier du premier. Mais son existence et sa présence soulignent à quel point le retour des insurgés de 1871 et la question de l’amnistie totale offrent un terrain propice aux expressions et aux rivalités politiques.
L’imagerie populaire se centre sur cette première arrivée des rapatriés du Var et sur celles qui suivent à l’automne. Du fait de leur concentration dans le temps, de leur poids numérique, elles symbolisent en grande partie le « retour des communards ». D’autres convois arrivent après l’interruption de l’hiver mais, bien que l’accueil soit encore important, ils ne font plus partie du papier du jour. C’est surtout après juillet 1880 et le vote de l’amnistie plénière que la rupture est manifeste. La curiosité s’est émoussée, les retours se sont déroulés sans trouble, et l’enjeu politique n’est plus le même. Quant aux réfugiés exilés, leurs arrivées par ordre dispersé passent le plus souvent inaperçues. Seules les figures les plus illustres sont accueillies de manière démonstrative, en particulier lors du 14 juillet 1880 ou dans les jours qui précèdent ou qui suivent. Leur réception est l’expression d’une victoire, celle de l’amnistie totale, dans le cadre de la nouvelle République. Aussi le grandiose retour de Rochefort le 12 juillet 1880 n’est-il pas le plus représentatif du « retour des communards ».
L’arrivée de Louise Michel à Paris, le 9 novembre 1880, est, elle, beaucoup plus emblématique. D’une certaine manière, elle appartient aussi à l’imagerie populaire du « retour des communards ». Ayant quitté la Nouvelle-Calédonie à la suite du vote de l’amnistie totale, elle est accueillie en gare Saint-Lazare par une foule très nombreuse, où l’on distingue fleurs et insignes rouges à la boutonnière ou au corsage, où l’on entend des vivats à la Commune et à la révolution sociale. Elle est reçue par Louis Blanc, Clemenceau et Rochefort. Mais si c’est la communarde revenue que l’on fête, la « grande citoyenne » représente bien plus que l’insurrection passée. L’accueil qui lui est réservé ne peut donc illustrer parfaitement le retour, dans toute sa diversité et ses enjeux. D’autant qu’une fois les arrivées passées, loin des vivats, commence alors, pour tous, le temps de la réinstallation dans une France qui, en l’espace de dix ans ou presque, a changé.
- Laure Godineau, Retour d’exil. Les anciens communards au début de la Troisième République, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2000.
- Laure Godineau, « Le retour d’exil, un nouvel exil ? Le cas des communards », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 67, 2002, p. 11-16.