Francesco Hayez, Les fugitifs de Parga, 1831
La composition du tableau fait clairement apparaître trois ensembles, dont chacun révèle un grand nombre de détails. À l’arrière-plan, un promontoire où s’étend la silhouette de la citadelle en haut d’une falaise dominant la mer. Au premier plan à gauche, un ensemble d’hommes et de femmes regroupés qui regardent dans la même direction. Entre les deux, enfin, à droite, un ensemble de scènes apparemment désordonnées sur le rivage d’où se dégage une infinie tristesse.
Le groupe du premier plan compte une quinzaine de personnes et donne une image de la fragilité mais aussi de la solidarité de la communauté villageoise dans l’épreuve. La position centrale de la mère avec son enfant dans l’économie générale du tableau, qui ne va pas sans évoquer la figure de la Madone, contribue à l’impression de dénuement. De même, la jeune fille prostrée à gauche du tableau penchée sur un crâne ne manque pas d’évoquer la peinture de vanité. Dans le même temps, l’agglomération des personnages au centre du groupe, qui semblent littéralement se tenir sur les épaules les uns des autres, figure la peur, sans doute, mais aussi le resserrement des liens dans l’épreuve. Il est difficile de démêler ce qui attire les regards intenses de ce groupe. Est-ce l’ensemble de personnages à l’arrière-plan qui s’affairent à l’entrée de la ville et pourraient être des Turcs prêts à investir la ville, comme le suggère le turban qu’on devine sur la tête du cavalier ? Est-ce plus généralement la nostalgie de l’exilé qui jette un dernier œil à sa terre, que l’on devine dans les yeux de l’homme aux cheveux longs à la main protectrice posée sur l’épaule de sa jeune fille ? Ou ces regards tournés vers le ciel invoquent-ils le secours d’un Dieu qui semble les avoir abandonnés ? Le personnage du deuxième plan qui apparaît de dos, les bras tendus vers son village, évoque également une prière imprécatoire, tandis que la houle qui attaque la falaise laisse deviner les dangers de la traversée qui attend les réfugiés.
C’est que l’élément religieux est omniprésent dans ce tableau, qui symbolise aussi l’abandon d’une terre chrétienne au profit des musulmans. On en devine l’importance dans la position centrale du prêtre dont le manteau sombre se fond presque dans la terre de Parga, mais aussi au regard de la place des objets de culte entre les mains des exilés, ainsi que dans les allusions implicites ou explicites à la figure christique ou à celle de la mère à l’enfant.C’est surtout dans la silhouette de la citadelle au fond, dominée par le clocher, que se lit l’ancrage chrétien de la ville cédée aux Ottomans.
- Gilles Pécout, “Philhellenism in Italy: Political Friendship and the Italian Volunteers in the Mediterranean in the Nineteenth Century”, Journal of Modern Italian Studies, 2009, 4(4), p. 405-427.
- Brigitte Urbani, « I profughi di Parga : fortune poétique et iconographique d’un thème patriotique », Italies.Revue d’études italiennes, n°6, « Variations autour des idées de patrie, État, nation », 2002.