Giuseppe Mazzini sur la route de l’exil

Sujet de l'oeuvre : Le franchissement de la frontière par le patriote exilé Giuseppe Mazzini
Description : lithographie
Editeur : Barberis, Società editrice Sonzogno
Date : 1891
Type : image
Source : Jessie W. Mario, Della vita di Giuseppe Mazzini, Milan, Società editrice Sonzogno, 1891
Auteur de la notice : Antonin Durand
Institution de rattachement : Ecole Normale Supérieure de Paris

Giuseppe Mazzini (1805-1872), figure bien connue du républicanisme italien, incarne par excellence le Risorgimento en exil. Les travaux récents sur les exilés politiques italiens en Angleterre, en France, mais aussi en Amérique du sud ont en effet montré l’importance de ce groupe dans la construction intellectuelle et politique de la nation italienne. Exilé en Suisse, puis en France et en Angleterre, Mazzini a connu l’exil pendant plus de quarante ans de sa vie, entrecoupés de retours clandestins comme en 1849 au moment de la brève expérience républicaine à Rome, où il fait partie du triumvirat qui administre la ville abandonnée par le pape. Depuis l’étranger, il travaille à agglomérer les exilés italiens pour préparer l’unification italienne dans une perspective républicaine, à travers la fondation de l’association Giovine Italia (la Jeune Italie), fondée à Marseille en 1831et la préparation de plusieurs insurrections menées dans les différents États italiens préunitaires (en Sicile en 1837, en Calabre en 1843-1844 ou encore en Lombardie en 1853). Cet activisme et cette visibilité lui valent de devenir un symbole de la « nouvelle institution » qu’est devenu l’exil pour l’Italie risorgimentale, selon une expression de Carlo Cattaneo.
La valeur emblématique de l’itinéraire de Mazzini est renforcée après sa mort en 1891. La lithographie ici présentée fut d’abord publiée comme une illustration de la biographie que Jessie Jane Meriton White, dite Jessie W. Mario, publia en 1891. L’auteure du livre fut elle-même une actrice de l’unification nationale :d’origine britannique, elle rencontra d’abord Garibaldi en Piémont-Sardaigne au début des années 1850, puis Mazzini lors de son exil à Londres, et c’est avec ce dernier qu’elle regagna Gênes. Elle participa à la Troisième Guerre d’indépendance comme infirmière et suivit Garibaldi dans son expédition pour défendre la France contre la Prusse, avant de s’installer en Italie, de s’y faire naturaliser et de consacrer la fin de sa carrière à écrire l’histoire du mouvement national, publiant en particulier les biographies de Garibaldi et Mazzini.


La légende de cette lithographie indique « Mazzini sur la route de l’exil, arrivé à la frontière italienne, lance depuis les Alpes un salut à sa patrie ». On y voit en effet Mazzini l’homme politique prêt à dépasser un panneau « frontière d’Italie », et profitant d’un promontoire où la vue est dégagée pour jeter un dernier œil et lancer un salut au pays qu’il quitte à son corps défendant.
Ni la légende ni le contexte ne permettent de savoir avec certitude auquel des exils de Mazzini cette lithographie fait référence ; sa portée n’en est que plus générale, puisque la traversée des Alpes fut pour lui une épreuve maintes fois répétée – en février 1831 pour la Suisse, puis Lyon et Marseille, en 1834 après l’échec d’une tentative d’invasion de la Savoie depuis la suisse, en 1849 après que les Français eurent chassé la République romaine et rendu son trône au pape. La frontière alpine en acquiert le statut de symbole du déchirement de l’exil. On la retrouve ainsi dans une lettre à Élise Girard du 1er avril 1836, écrite depuis son exil suisse, où Mazzini décrit sa méditation face à la montagne qui le sépare de son pays :

« Il faisait beau comme un jour de printemps. J’étais dehors sur une petite hauteur, à cent pas de mon ermitage, et je regardais les Alpes qui se dessinent loin, bien loin dans le ciel ; au-delà, c’est mon pays, mon pauvre pays que j’aime tant où sont mon père, ma mère, mes sœurs, puis le tombeau de mon ami d’enfance mort pour la liberté, puis des prés, des collines, des beaux lacs comme les vôtres, des fleurs, des oranges, un beau ciel, tout ce qu’il faut enfin pour mourir en paix et je pensais à tout cela tristement. »

L’auteur de la lithographie pourrait s’être inspiré de cette description pour dessiner le paysage verdoyant que l’on devine sous le gris de la gravure. Quant à Mazzini lui-même, il est figuré avec sa barbe, qu’il n’a pas toujours portée mais qui apparaît rétrospectivement dans la quasi-totalité de ses représentations, taillée avec plus de soin que celle de Garibaldi et dont Jane Carlyle disait qu’elle « n’était pas une efflorescence de républicanisme mais une nécessité, conservée ensuite par commodité ». La simplicité de son vêtement et de son attelage, la nostalgie du geste et le soin apportés à rendre la beauté des plateaux italiens font de cette image de passage de frontière une évocation du déchirement de l’exil.
Le geste de la main procède du geste d’adieu, mais la main n’est pas tournée vers le lieu que le proscrit quitte, pas plus que vers celui où il entre : elle est ouverte, et tournée vers le spectateur : elle prépare le retour, et peut-être le dépassement de la frontière. La gestuelle évoque aussi en l’inversant (main vers le haut et non vers le bas) celle du prêtre qui bénit la foule du haut de sa chaire ; or le rapport de Mazzini à la patrie emprunte au vocabulaire et à la symbolique du religieux : les exilés sont souvent présentés dans ses écrits comme des apôtres d’une nouvelle religion patriotique, et il y a dans cette représentation une dimension apostolique que l’on retrouve dans un article qu’il publie en 1834 :
« Les peuples se reconnaîtront et ils confondront dans un embrassement fraternel leurs souffrances passées et leurs joies à venir. Et alors, si quelques-uns de ces proscrits, de ces sublimes pèlerins, mis au ban de l’humanité pour l’avoir trop aimée, restent encore, ils seront bénis : et si tous, un excepté, ont été étouffés par la misère et la lutte, celui qui aura survécu à eux tous, se penchera sur la pierre qui couvrira les ossements blanchis de ses frères, et leur murmurera à travers l’herbe longue : frères, réjouissez-vous car l’ange a dit la vérité, et nous avons vaincu le vieux monde.
Et ce sera le dernier proscrit, car les peuples seuls règneront ».


- Christopher A. Bayly et Eugenio F. Biagini, Giuseppe Mazzini and the globalisation of democratic nationalism (1830-1920), Oxford, Oxford University Press, 2008.
- Jean-Yves Frétigné, Giuseppe Mazzini. Père de l’unité italienne, Paris, Fayard, 2006
- Jessie W. Mario, Della vita di Giuseppe Mazzini, Bologne, Bononia University Press, 2009 [1891]