Le vocabulaire de l'exil

Grande Bretagne

« Refugee »

Extrait (affiché dans les listes) : Le premier sens du mot « refugee » désigne un « protestant ayant fui la France pour se réfugier ailleurs et échapper aux persécutions religieuses aux XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier suivant la révocation de l’Édit de Nantes en 1685[1] ». Bien que le premier usage du terme recensé  soit antérieur à la révocation, cette définition reflète « une polarisation presque exclusive du terme » sur la situation des protestants français, déjà observée par Sylvie Aprile et Stéphane Dufoix en référence au terme français « refugié »[2]. [1] ‘Refugee’, Oxford English Dictionary, 3e édition, 2009. Toutes les traductions de l’anglais ont été réalisées par l’auteur de cette notice. [2] Sylvie Aprile et Stéphane Dufoix, Les Mots de l’immigration, Paris, Belin, 2009, p. 321-323. Genre / pluriel : refugee(s) Étymologie : 1671, dans Benjamin Priolo, The History of France under the Ministry of Cardinal Mazarine, traduit du latin vers l’anglais par Christopher Wase. Date de la première notice de dictionnaire/encyclopédie : Le terme apparaît dans Mulcaster’s ‘Elementarie’ (1582). The dictionary of syr Thomas Eliot knyght et le dictionnaire d’Elisha Cole (1877) contiennent une entrée pour le terme ‘refuge’. Termes associés à l’époque : asylum ; exile ; foreigners ; aliens ; extradition Ressource(s) bibliographique(s) : Oxford English Dictionary. Bernard Porter, The Refugee Question in mid-Victorian Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1979. Alison Bashford et Jane McAdam, “The Right to Asylum: Britain’s 1905 Aliens Act and the Evolution of refugee Law”, Law and History Review, Mai 2014, 32.2, p. 309-350. Auteur(s) de la notice : Constance Bantman

Le premier sens du mot « refugee » désigne un « protestant ayant fui la France pour se réfugier ailleurs et échapper aux persécutions religieuses aux XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier suivant la révocation de l’Édit de Nantes en 1685[1] ». Bien que le premier usage du terme recensé  soit antérieur à la révocation, cette définition reflète « une polarisation presque exclusive du terme » sur la situation des protestants français, déjà observée par Sylvie Aprile et Stéphane Dufoix en référence au terme français « réfugié »[2]. L’histoire de ce mot, en particulier au XIXe siècle, témoigne de son élargissement à d’autres groupes, pour inclure de nombreux motifs de départs et de situations dans le pays d’accueil.

John Southerden Burn, The history of the French, Walloon, Dutch and Other Foreign Protestant Refugees Settled in England, from the reign of Henry VIII to the Revocation of the Edict of Nantes, Londres, Longman, 1846 (exemplaire de la Bibliothèque nationale de France, source : Gallica)

Couverture du livre de Conan Doyle, The Refugees : A Tale of Two Continents, 1893, qui porte sur l’histoire des huguenots français

 

Ainsi, dès la fin du XVIIe siècle apparaît une définition plus large du terme : « Une personne ayant été forcée de quitter sa maison et de trouver refuge face à la guerre, la persécution religieuse, les troubles politiques, les effets de catastrophes naturelles, ailleurs, en particulier dans un pays étranger etc. ; personne déplacée ». Cette acception se pérennise et peut dès lors également être employée au sens figuré. La fortune du terme au XIXe siècle se caractérise par une recrudescence de son usage ainsi qu’une problématisation de son sens, qui reflètent les ambigüités du statut de réfugié, en l’absence de définition juridique consensuelle. Son utilisation dans les débats parlementaires connaît un pic dans les années 1850, puis dans la décennie 1880 et, dans une moindre mesure, 1890. Les rares usages du terme dans les premières années du siècle font principalement référence aux réfugiés de la Révolution française et des guerres napoléoniennes (c’est-à-dire, outre les nobles et membres du clergé français, en particulier les Espagnols ayant combattu lors de la guerre d’indépendance d’Espagne en 1808-1813). Dans les années suivantes s’ajoutent d’autres nationalités, notamment les Portugais. Ces discussions sont fortement concentrées sur les aspects matériels de l’aide aux réfugiés et leurs conditions d’accueil[3].

Ces considérations s’accompagnent bientôt de réflexions sur les conséquences politiques et diplomatiques de la politique d’accueil britannique, dans le cadre de débats de plus en plus fréquents reflétant le tournant « restrictionniste » en matière d’immigration et de droit d’asile qui s’opère au XIXe siècle. Dès 1822, les discussions à la Chambre des Communes concernant un projet de loi sur l’immigration (Aliens Regulation Bill), font apparaître les termes et arguments du débat, dont les grandes lignes restent les mêmes jusqu’aux premières années du XXe siècle. Lord Stanley s’élève en défenseur des réfugiés, du droit d’asile et de l’idéologie libérale exceptionnaliste britannique : « Où les réfugiés pourraient-ils chercher refuge à présent ? La croyance que, lui-même, il avait absorbée avec le lait maternel était celle-ci : pour les opprimés et les persécutés du monde entier, l’Angleterre était le pays de la protection ». En retour, le Marquis du Londonderry s’inquiète : « Si l’Angleterre autorisait l’entrée libre de conspirateurs et d’agitateurs étrangers, elle deviendrait sans aucun doute un désagrément pour toute l’Europe »[4].

Tract pour une réunion de soutien aux juifs russes à Londres (1890)

C’est l’immigration de masse de réfugiés juifs d’Europe de l’Est fuyant les persécutions et pogroms à partir des années 1870 qui relance et fait finalement basculer le débat public, aboutissant en 1905 à l’adoption d’un ‘Aliens act’ de portée historique. L’intervention du Comte de Dudley lors d’un débat parlementaire de juin 1898, témoigne bien des querelles sémantiques qui sous-tendent les décisions politiques relatives au droit d’asile : « Personne, me semble-t-il, ne peut […] prétendre que les hommes du genre du juif polonais, qui viennent ici en nombres si élevés, sans un sou pour survivre, qui prennent un logement sans avoir les moyens de le payer, et qui cherchent à faire concurrence à la main-d’œuvre anglaise, en vertu de leur capacité à vivre dans des conditions dans lesquelles la main d’œuvre anglaise ne peut pas s’épanouir, aient quoi que ce soit en commun avec les réfugiés politiques ordinaires »[5].

L’historiographie récente a fait valoir, outre la fermeture historique des frontières britanniques et la mise en place de contrôles à l’intention des « immigrants indésirables » en Grande-Bretagne, la place de cette loi de 1905 comme chaînon manquant entre les réfugiés huguenots et l’émergence d’un droit des réfugiés après 1914, puisque la loi comprend une clause de protection contre les persécutions religieuses et politiques : « Dans le cas d’un immigrant prouvant qu’il demande à être admis dans ce pays à la seule fin d’échapper à des poursuites judiciaires ou des punitions pour motifs religieux ou politiques, ou pour un crime de nature politique, ou à la persécution, posant une menace d’emprisonnement ou d’atteinte à sa vie ou son intégrité physique, pour des motifs religieux, l’accès au pays ne sera pas refusé au motif du manque de moyens matériels, ou du risque qu’il ne devienne une charge[6] ».

 

[1] ‘Refugee’, Oxford English Dictionary, 3e édition, 2009. Toutes les traductions de l’anglais ont été réalisées par l’auteur de cette notice.

[2] Sylvie Aprile et Stéphane Dufoix, Les Mots de l’immigration, Paris, Belin, 2009, p. 321-323.

[3]For the relief of the poor French Refugee Clergy/ Laity’, Hansard, Committee of supply—miscellaneous services, HC Deb 18 January 1812 vol 21 cc192-6.

[4]‘Aliens Regulation Bill’HC Deb 05 June 1822 vol 7 cc805-24. Concernant les aspects partisans de ces débats, voir la notice lexicographique sur le terme ‘Asylum’.

[5] The Earl of Dudley, ‘Clause 3’, HL Deb 20 June 1898 vol. 59 cc727-48

[6] The Aliens Act, 1905, s. 1, sub-s. (3).