Le vocabulaire de l'exil

France

« Proscription »

Extrait (affiché dans les listes) : Les usages du substantif proscription et du participe « proscrit » utilisé comme substantif peuvent être interrogés au travers de plusieurs sources et textes datant du XIXe siècle. Dans la presse et la littérature, il est fait plus amplement usage du syntagme « proscrit » souvent employé au pluriel que du terme de « proscription ». Son emploi semble  d’ailleurs largement évité voir censuré dans les débats parlementaires et sources officielles dans la seconde moitié du siècle. Genre / pluriel : substantif , pluriel proscriptions Étymologie : de proscribere (proscrire) Date de la première notice de dictionnaire/encyclopédie : « Proscription », son participe passé « proscrit » substantivé et le verbe proscrire apparaissent dès la première édition du Dictionnaire de l’Académie française en 1694. Termes associés à l’époque : table de proscription, loi de proscription, proscription républicaine Ressource(s) bibliographique(s) :
  • Sylvie Aprile et Stéphane Dufoix, Les Mots de l’immigration, Paris, Belin, 2009.
  • Sylvie APRILE, Le siècle des exilés, Paris, CNRS, 2010.
  • Delphine DIAZ, Un asile pour tous les peuples ? exilés et réfugiés étrangers en France au cours du premier XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2014.
Auteur(s) de la notice : Sylvie Aprile

Les usages du substantif proscription et du participe « proscrit » utilisé comme substantif peuvent être interrogés au travers de plusieurs sources et textes datant du XIXe siècle. Dans la presse et la littérature, il est fait plus amplement usage du syntagme « proscrit » souvent employé au pluriel que du terme de « proscription ». Son emploi semble  d’ailleurs largement évité voir censuré dans les débats parlementaires et sources officielles dans la seconde moitié du siècle. Ce sont surtout les exilés qui utilisent ces termes qui ne renvoient pas à une décision judiciaire mais à l’arbitraire et la violence de cette condamnation. L’usage renvoie en effet à l’histoire romaine et aux proscriptions du dictateur Sylla. Dans le Dictionnaire de l’Académie française de 1694, la notice PROSCRIPTION la définit comme « une condamnation à mort sans forme judiciaire, et qui peut être mise à exécution par quelque particulier que ce soit. Les proscriptions du temps de Sylla et de Marius. Les proscriptions du Triumvirat et le verbe proscrire renvoie à la pratique spécifique qui accompagnait alors la proscription : il s’agissait d’ écrire sur un tableau, sur une affiche, les noms de ceux qui sont condamnés à mort, ou au bannissement par une puissance illégitime  sans forme de procès ».

On retrouve tout au long du XIXe siècle cette référence à l’Antiquité. Néanmoins, dans le Dictionnaire de l’Académie française de 1798, la définition est modifiée : condamnation à mort sans forme judiciaire, et qui peut être mise à exécution par quelque particulier que ce soit. Le terme est d’usage courant sous la Révolution Française, il est utilisé concernant les Émigrés mais surtout les Girondins puis les victimes de la réaction thermidorienne. De nombreux ouvrages paraissent durant le XIXe siècle sur la proscription des Girondins. L’usage se maintient même s’il décline sur le siècle avec des pics d’usage. (cf. analyse tirée de NGramviewer, qui analyse l’ensemble des corpus numérisés par Google en français), il est évidemment très connoté péjorativement n’ayant pas de fondement juridique.

On en trouve la trace dans les protestations concernant l’exil des Bonaparte et de Charles X notamment (De la proscription, adresse à la chambre des députés par M. L. Belmontet, 1831). Le substantif « proscrit » est plus largement usité dans la littérature et la presse. En 1831 paraît l’ouvrage Les proscrits d’Honoré de Balzac, curieux récit de l’exil de Dante à Paris. Le substantif « proscription » n’y est employé qu’une seule fois. « Les cloches, elles-mêmes, pleuraient alors ma proscription. Ô terre merveilleuse ! Elle est aussi belle que le ciel ! Depuis cette heure, j’ai eu l’univers pour cachot. Ma chère patrie, Pourquoi m’as-tu proscrit ? » (Honoré de Balzac, Les Proscrits, Paris, Gosselin, p. 60). D’autres œuvres littéraires ont pour titre le proscrit (Le Proscrit ou le Tribunal invisible, drame lyrique, paroles de Carmouche et Xavier Saintine, musique d’Adam, représenté à l’Opéra-Comique en 1833 ; Morin ou la fiancée du proscrit de Lesguillon la même année, le Proscrit, opéra en quatre actes, musique de Verdi, est représenté à Venise en mars 1844 et au Théâtre-Italien, à Paris, le 6 janvier 1846). Mais l’ouvrage le plus célèbre est certainement celui de Ugo Foscolo, Le Proscrit ou lettres de Jacopo Ortis, traduit de l’italien en 1814 et qui connaît de nombreuses rééditions.

L’usage du terme et de ses dérivés par les exilés eux-mêmes se développe largement après le coup d’État de 1851. Il n’entre pas dans le vocabulaire juridique et les autorités impériales n’emploient ni dans les condamnations des commissions mixtes, ni dans les lois d’amnistie de 1853 et 1859 qui renvoient aux condamnés politiques et à la mesure d’éloignement. Mentionnons néanmoins que Louis Napoléon Bonaparte l’emploie dans son discours à l’Assemblée nationale le 26 septembre 1849 : «  Après trente-trois ans de proscription et d’exil, je retrouve enfin ma patrie et tous mes droits de citoyen ». Le terme est encore sujet à polémique à la fin du Second Empire comme en témoigne encore le 6 avril 1869 une altercation au Corps législatif entre le républicain Ernest Picard et le bonapartiste Mony. Celui-ci qualifie le sort des Huguenots de grand malheur et Picard rétorque «  Comme toutes les proscriptions ! ». Mony réplique mais emploie le terme de prescription que récuse alors son interlocuteur (Journal de l’Empire français, 7 avril 1869). Les exilés français l’emploient abondamment dans la littérature et la presse d’exil. Le substantif proscrit reste le plus courant. Le premier journal des exilés français qui paraît à Londres en 1850 prend pour titre Le Proscrit. En 1852, Pascal Duprat publie à Liège, Les tables de proscription de Louis Bonaparte et de ses complices. Le terme même de proscrits, l’assimilation des listes de proscrits de décembre 1851 aux tables de proscription de Rome, soulignent la volonté d’analogie entre l’Empire romain et le Second Empire.