Le vocabulaire de l'exil
France
« Expulsion »
Diaz, Delphine, Un asile pour tous les peuples ? Exilés et réfugiés en France au cours du premier XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2014.
Ponty, Janine, L’immigration dans les textes, France, 1789-2002, Paris, Belin, 2004.
Rygiel, Philippe, Une impossible tâche ? L’institut de droit international et la régulation des migrations internationales (1870-1920), mémoire pour l’Habilitation à diriger les recherches, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2001 (en libre accès : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00657654/).
Le terme « expulsion » provient du latin expulsio qui signifie « action de chasser », sous-entendu chasser une personne ou un animal d’un lieu. Son usage a beaucoup évolué depuis l’Antiquité. Il intègre le vocabulaire médical dès le XVIe siècle, puis le lexique administratif et juridique au XIXe siècle. Le terme conserve alors une forte polysémie puisqu’il est utilisé pour désigner tant l’évacuation de différentes substances du corps humain, les expulsions locatives qui se multiplient sous le Second Empire dans le cadre de l’haussmannisation, et l’expulsion administrative d’étrangers qui nous intéresse plus particulièrement ici.
Jusqu’à la Révolution française, le mot expulsion n’est guère employé pour désigner le renvoi d’individus hors des frontières d’un État. Il semble être utilisé progressivement par l’administration après la loi du 28 Vendémiaire An VI (19 octobre 1797) relative aux passeports. Ce texte fixe le contenu de ce qui deviendra la procédure d’expulsion mais ne mentionne pas le terme. L’article 7 précise ainsi que « Tous étrangers voyageant dans l’intérieur de la République, ou y résidant […] sont mis sous la surveillance spéciale du Directoire exécutif […] qui pourra leur enjoindre de sortir du territoire français, s’il juge leur présence susceptible de troubler l’ordre et la tranquillité publique. ».
L’expulsion n’est donc pas une peine judiciaire décidée par un tribunal mais une mesure de haute police, décision discrétionnaire pour laquelle l’autorité décisionnaire (ministre de l’Intérieur ou préfets) n’est pas tenue de préciser de motif. L’expulsion diffère ainsi des nombreuses mesures d’éloignement de nationaux et d’étrangers existant au XIXe siècle (bannissement, déportation, transportation ou encore extradition).
Fréquence de l’expression « Expulsion des réfugiés » dans la presse francophone du XIXe siècle (1800-1900) / Graphique réalisé à partir d’une recherche par mot sur la base Retronews de la Bibliothèque Nationale de France regroupant la presse française numérisée par Gallica
Sous la monarchie de Juillet, le terme fait pour la première fois son apparition dans un texte législatif. La loi du 21 avril 1832 menace d’expulsion les réfugiés politiques étrangers qui ne respecteraient pas leur assignation à résidence. Dans les années suivantes, les occurrences du mot sont de plus en plus nombreuses. Comme le montre le graphique ci-dessus, la presse évoque la question de l’expulsion des réfugiés à chaque épisode tumultueux de l’histoire politique française où les réfugiés étrangers sont pris à parti : dans la première décennie de la monarchie de Juillet, après l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre après la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et la Commune de 1871, ou encore dans le contexte de crise économique et sociale des années 1880-1890. Parfois jugées abusives, les expulsions d’étrangers choquent l’opinion et sont dénoncées dans la presse comme en mars 1851, lorsque le dessinateur Chagot publie un dessin mettant en scène l’expulsion hors des frontières d’immigrants allemands (voir la notice iconographique Chagot).
Utilisée à l’encontre des réfugiés politiques considérés comme dangereux, la procédure d’expulsion est aussi engagée à l’encontre des étrangers dépourvus de papiers réguliers ou condamnés à une peine de prison. Avec la loi du 3 décembre 1849 sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France, qui renforce l’efficacité de la procédure et donne une plus grande liberté aux préfets pour instruire les dossiers, l’expulsion des migrants considérés comme indésirables est presque systématique (https://theconversation.com/lexpulsion-des-etrangers-une-procedure-ajustable-pour-lexercice-dun-pouvoir-discretionnaire-87637). Sous la Troisième République, le nombre des expulsions se multiplie et concerne un panel de plus en plus large d’étrangers. Au cours des années 1880, les anarchistes et les ouvriers syndiqués étrangers deviennent la cible de procédures individuelles et collectives. Parallèlement, la question de l’expulsion devient un élément central du droit international et de la communication entre les États, ce qui explique son usage croissant dans les nombreux ouvrages juridiques consacrés au droit des étrangers, mais également dans la presse comme le montre le graphique ci-dessous.
Fréquence du terme « Expulsion » dans la presse francophone du XIXe siècle (1800-1900) / Graphique réalisé à partir d’une recherche par mot sur la base Retronews de la Bibliothèque Nationale de France regroupant la presse française numérisée par Gallica