Le vocabulaire de l'exil

France

« Exilé »

Genre / pluriel : Exilé-e, exilés. Étymologie : Participe passé du verbe « exiler ». du latin ex(s)ilium : bannissement, lieu d’exil. Date de la première notice de dictionnaire/encyclopédie : Le verbe « exiler » et son participe passé « exilé » apparaissent dès la première édition du Dictionnaire de l’Académie française en 1694. Termes associés à l’époque : « Proscrit », « réfugié », « banni », « relégué ». Auteur(s) de la notice : Delphine Diaz

Le terme « exilé », participe passé du verbe « exiler », est attesté en ancien français dès le premier quart du XIIe siècle (sous la forme eissilled, dans les Lois de Guillaume le Conquérant). Il est utilisé très tôt comme un substantif, « l’exilé ». Dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694), cet usage comme substantif était déjà évoqué (« Exilé, exilée, part. pass. Il se met quelquefois subst. Un exilé, on a rappelé les exilez »). Tout comme le verbe dont il est issu, « exiler », le terme « exilé » est marqué par un double sens, que met bien en évidence le Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré à la fin du XIXe siècle (tome 2, 1873). L’exilé, c’est d’abord celui qui est « éloigné de la cour par ordre du souverain », et pour appuyer cette définition, les différents dictionnaires du XIXe siècle convoquent des exemples tirés de l’histoire moderne, tels que ceux des maréchaux d’Humières et de Bellefonds, « exilés » « pour ne vouloir pas obéir à M. de Turenne ». Dans ce même sens qui s’explique par le contexte de l’absolutisme monarchique, l’exil renvoie à une forme de relégation hors de la cour, équivalence déjà établie dans la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1762) :

« Exiler, Bannir, envoyer en exil. On l’a exilé de la Cour […]. Il signifie encore Reléguer. Il est exilé en Bretagne. On l’a exilé à Quimper »

Selon une telle acception, l’exilé, qui vit un exil intérieur, peut s’entendre comme un banni éloigné de la cour et, partant, du centre névralgique du pouvoir politique.

Néanmoins, un second sens s’est peu à peu imposé à travers les notices de dictionnaires et d’encyclopédies, définissant l’exilé comme un individu expulsé de sa patrie pour des raisons politiques ou religieuses. C’est d’ailleurs cette première acception qu’Émile Littré met en avant dans sa notice du Dictionnaire de la langue française (tome 2, 1873), preuve que l’exilé entendu au sens de banni de la cour est d’un usage de moins en courant, si ce n’est pour se référer à l’histoire.

Les usages dont ont fait l’objet le participe « exilé » et le substantif qui en est tiré, « l’exilé », peuvent être interrogés à travers plusieurs sources du XIXe siècle. Dans la presse française, d’abord, le syntagme « l’exilé » se trouve de plus en plus fréquemment utilisé. En témoigne une analyse lexicométrique des mots utilisés dans le Journal des débats, publié tout au long du XIXe siècle et même au-delà (1789-1944, avec différents sous-titres). Comme le met en évidence le graphique ci-dessous, « L’exilé » atteint un pic de plus de 750 occurrences en 1900, chiffre qui reste néanmoins bien moindre que la fréquence d’utilisation du substantif de « réfugié », qui dépassait à la même date et dans le même périodique les 1 100 occurrences :

Les occurrences du syntagme « l’exilé » dans le Journal des débats politiques et littéraires entre 1789 et 1944

Source : Base de données et moteur de recherche de Retronews, Bibliothèque nationale de France

 

« L’exilé » est un vocable qui occupe aussi les unes des journaux français, qui font néanmoins des usages forts différents de celui-ci. Tandis que « les exilés » sont le plus souvent entendus comme un équivalent des « réfugiés étrangers » accueillis à l’époque sur le sol français, il arrive également que les exilés soient associés aux Français qui ont subi l’émigration. Le 28 février 1851, par exemple, la une de La Presse contenait un article intitulé « Les exilés et les émigrés », signé par Arthur de la Guéronnière, qui demandait alors à ce que « ce mot d’exil » fût d’une manière générale supprimé du « vocabulaire de la démocratie ».

Outre l’utilisation du terme « exilé » dans les articles de presse, on peut souligner que deux périodiques écrits en langue française parmi ceux recensés dans les fonds de la Bibliothèque nationale de France ont porté, au XIXe siècle, le titre « L’exilé ». Paru au début de la monarchie de Juillet sous le titre français L’Exilé, journal de littérature ancienne et moderne et en italien, le premier d’entre eux était placé sous la direction de trois exilés libéraux italiens installés en France après 1831, Giuseppe Cannonieri, Angelo Frignani et Federico Pescantini (4 volumes in-8, 1832-1834). Le journal bilingue (L’Exilé / L’Esule) se proposait de rapprocher les jeunesses française et italienne par la littérature, tout en soutenant le combat patriotique italien mené depuis l’étranger. Quant au second périodique intitulé L’Exilé, il a été publié à Paris en 1850 sous la forme d’un almanach pour l’année 1851 et affichait une opinion républicaine, clairement revendiquée dans sa devise, « République universelle ». Avant même la proscription qui fera suite au coup d’État du 2 décembre 1851, l’almanach s’adressait aux républicains français et européens « enfermés dans les prisons ou errants sur la terre d’exil ».

Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France.

Enfin, les chansons et la littérature de l’époque foisonnent de textes qui mettent en scène des personnages d’exilés, explicitement revendiqués comme tels : dans La Cousine Bette d’Honoré de Balzac le personnage du Polonais Wenceslas Steinbock est décrit comme un « pauvre exilé », un jeune homme de 29 ans « dont la fraîcheur avait cédé sous les fatigues et les misères de l’exil ». Moins nombreuses ont été les œuvres de fiction écrites en français au XIXe siècle à emprunter le terme même d’« exilés » dans leur titre. C’est le cas d’un seul des ouvrages recensés pour le XIXe siècle dans la base textuelle Frantext : Les Exilés de Théodore de Banville (1867), même si cinq titres inclus dans cette même base recourent par ailleurs au terme « exil ».

Relevant davantage du vocabulaire littéraire que d’un lexique administratif ou politique, « l’exilé » renvoie ainsi à l’individu qui a été forcé de quitter sa patrie et permet d’insister sur les douleurs engendrées par cette condition d’exil. En 1834, l’abbé de Lamennais répétait à plusieurs reprises dans ses Paroles d’un croyant (1834) l’expression « pauvre exilé », associant presque intrinsèquement ce substantif à l’idée d’une souffrance et d’un deuil. Plus de trois décennies plus tard, à la fin du Second Empire, la préface des Exilés (1867) de Théodore de Banville établissait le même lien presque indissoluble entre exil, solitude et désolation :

« Les Exilés ! Quel sujet de poèmes, si j’avais eu plus de force ! En prononçant ces deux mots d’une tristesse sans bornes, il semble qu’on entende gémir le grand cri de désolation de l’Humanité à travers les âges et son sanglot infini que jamais rien n’apaise. Ceux-ci, chassés par la jalouse colère des Rois ou par la haine des Républiques, ceux-là, victimes de la tyrannie des Dieux nouveaux, ils écoutent pleurer effroyablement la mer sonore, ou dans le morne ciel fait d’un sombre azur ils regardent briller des étoiles inconnues. »

Ressource(s) bibliographique(s) : Sylvie Aprile et Stéphane Dufoix, Les Mots de l’immigration, Paris, Belin,2009. Maria Luisa Belleli, Voci italiane da Parigi. L’Esule – L’Exilé, 1832- 1834, introduction de Cristina Trinchero, Turin, Tirrenia Stampatori, 2002.