Le vocabulaire de l'exil
Etats italiens
« Esilio, Esule »
Carlo Cattaneo, Il Politecnico, 1860
« E così Ugo Foscolo diede all’Italia una nuova istituzione, l’esilio ».
« Ainsi, Ugo Foscolo donna à l’Italie une nouvelle institution, l’exil »
Les dictionnaires italiens des XVIIIe et XIXe siècles montrent la diversité des usages des termes esule et esilio, ainsi que le double registre littéraire et juridique dans lequel ils s’inscrivent. Une recherche sur Ngramviewer (moteur de recherche qui donne accès aux livres numérisés par Google Books), avec comme entrée esilio, emigrato, emigrati de 1700 à 1900, montre un emploi constant du terme esilio, mettant en évidence des pics d’utilisation en 1775-1776, puis 1796-1797, 1820-1824, 1849 puis 1862. Le terme emigrati, au pluriel, bien moins utilisé, voit son usage commencer en 1781, puis culminer en 1849, sans ensuite diminuer de manière décisive avant 1900. Enfin, le terme emigrato, au singulier, apparaît quant à lui de manière moins fréquente. Dans l’ensemble de la littérature c’est donc l’exil en tant que statut juridique, en tant que migration dans l’espace, qui est le mieux représenté, d’autant qu’il est associé à une palette de sentiments et attitudes « romantiques ».
En complément, une recherche dans le catalogue national italien (OPAC SBN) montre que, de 1821 à 1890, 111 livres portent dans leur titre même le mot esilio, dont 27 manuscrits ou livrets musicaux. Si l’on recherche le mot esule, 380 documents apparaissent avec dans leur titre le mot esule si l’on inclut manuscrits et partitions musicales (162 documents musicaux). Le terme emigrato est employé dans 63 ouvrages imprimés et un livret musical ; le terme fuoruscito 3 fois, dans une pièce de théâtre comique ; enfin, le terme emigrazione apparaît dans 215 textes imprimés, mais très majoritairement après 1880, et si l’on y regarde de près, il concerne majoritairement l’émigration économique, ou bien, dans les années 1860, l’emigrazione italiana, qui est une dénomination politique, renvoyant à l’organisation de secours pour les exilés politiques.
Il est également intéressant que l’usage des mots esilio et esule en littérature ou en musique recouvre toutes les sensibilités politiques : exil politique des protagonistes du Risorgimento, bien sûr et, avec lui, de très nombreux ouvrages sur l’exil de Dante dont on sait combien le personnage fut instrumentalisé durant la période ; mais aussi esilio des papes, Pie VI, Pie VII et Pie IX et exil impérial, tant celui de Napoléon Ier qu’après 1870, que, beaucoup moins prégnant, celui de Napoléon III.
Toutefois, si l’on se tourne vers le vocabulaire plus spécifiquement juridique ou du moins normatif de l’exil, les termes employés sont bien plus diversifiés. Rappelons d’abord que les corpus juridiques sont propres à chacun des États de la péninsule avant l’unification du Royaume d’Italie en 1861. L’exil n’existe comme peine directe que dans le Royaume des Deux-Siciles (en vertu du Code pénal de 1819) et dans les États pontificaux (Regolamento penale de 1832). En revanche, on trouve d’autres termes pour renvoyer à des catégories juridiques d’individus contraints de quitter leur patrie. Par exemple, en Lombardie-Vénétie, après les troubles de Milan et de Vérone et la proclamation de Radetzky du 18 février 1853, une série d’ordonnances fait apparaître une nouvelle expression, celle de profughi politici (réfugiés politiques). La notion de profugo politico est rétroactive et passible de la confiscation des biens. On retrouve également en Lombardie-Vénétie les catégories suivantes : emigrati illegali (émigrés illégaux) ; assenti all’estero (partis pour l’étranger) ; esiliati (exilés) utilisé presque exclusivement en référence à la Commission mixte pour le séquestre des biens des exilés.
De même, d’autres termes que ceux d’esule (exil) ou esuli (les exilés) sont employés dans les États pontificaux. Si le terme d’esuli (les exilés) renvoie à la fois aux étrangers exilés par le gouvernement pontifical, aux individus exilés par leur propre État vers les États pontificaux ou aux sujets du Pape exilés (en peine directe ou par commutation de peine), le mot « emigrati » est aussi utilisé : il se réfère aux sujets du Pape qui sont partis sans autorisation, n’ont plus le droit de revenir dans les États pontificaux et ont pu être jugés par contumace.