Le vocabulaire de l'exil
Espagne
« Destierro »
Le terme destierro est employé autant par les acteurs victimes de bannissement eux-mêmes, que par les autorités hispaniques à l’origine du bannissement, ainsi que par les observateurs du phénomène. Il est utilisé en Espagne péninsulaire et insulaire (Îles Canaries, Îles Baléares), et plus largement dans tout le monde hispanophone du XIXe siècle : Amérique centrale, Caraïbes, Amérique du Sud et Philippines. On retrouve également quelques occurrences dans les lieux de bannissement qu’étaient alors les présides d’Afrique espagnole (Ceuta, Melilla, îles Chaffarines) et l’île de Fernando Póo.
Le vocable destierro est employé pour décrire à la fois le fait de bannir quelqu’un, la peine qui consiste à bannir quelqu’un, le lieu de bannissement par extension, mais aussi l’état ou la condition dans lequel se trouve l’individu concerné par le bannissement. Destierro semble être utilisé pour rassembler l’idée d’exil avec celle de bannissement. C’est là sa spécificité par rapport à exilio, alors beaucoup moins usité en espagnol.
Dans les Partidas du roi Alphonse X, législation du XIIIe siècle, on trouvait entre autres la peine de cinq ans de destierro dans une île pour délits divers. En 1780, le terme n’est utilisé que pour caractériser la peine judiciaire de bannissement. La Couronne voulut mettre de l’ordre dans la législation pléthorique et chaotique du royaume, et c’est ainsi que la Novísima Recopilación vit le jour, en 1805. Elle compilait la législation dite « archaïque » (XVIe siècle), mais l’objectif était surtout d’y inclure les textes les plus récents, c’est-à-dire ceux datant du XVIIIe siècle. Dans cette législation, de nombreux délits impliquent la peine de destierro.
Au XVIIIe siècle, le bannissement aux marges du royaume était un châtiment habituel pour les élites socio-politiques tombées en disgrâce auprès du roi. Pendant le Sexennat absolutiste (1814-1820), les conspirations libérales ont été réprimées au moyen d’exécutions rapides et collectives. Pour leur part, les afrancesados ont été bannis de façon collective par la circulaire de 1814 qui leur interdisait le retour en Espagne. Pendant le Trienio Liberal (1820-1823), la législation espagnole a conservé le destierro dans la répression contre les contre-révolutionnaires. Les décrets VI et VII du 17 avril 1821établissaient des peines de confinement aux Baléares et Canaries, en prévoyant l’expulsion du territoire espagnol. Pendant la guerre civile et l’invasion française qui a débuté en avril 1823, des centaines de contre-révolutionnaires ont été bannis. En juillet 1823, le gouvernement a approuvé une loi qui lui conférait des pouvoirs spéciaux afin de déporter de façon arbitraire des dissidents politiques.Après la Restauration de 1823, le roi Ferdinand VII est revenu à la Novísima Recopilación et aux Partidas, auxquelles se sont ajoutées de nouvelles lois promulguées à l’époque. Des centaines de libéraux et ultra-royalistes ont été bannis à Ceuta, Baléares ou Canaries. Pendant les années 1830, l’Etat libéral a crééune législation répressive pour affronter les carlistes. Selon l’Ordonnance Royale du21 janvier 1834, les leaders devaient être exécutés, et les autres condamnés à six ans de service dans l’armée, dans les régiments de Ceuta, des autres présides africains ou de La Havane.
En 1837, alors que le statut des territoires américains venait d’être bouleversé par les Cortes, le Dictionnaire de législation de Joaquín Escriche mentionne dans sa première édition les sentences de bannissement sous leurs différentes formes et acceptions. Si le confinement est infamant et implique que le condamné demeure en un lieu assigné précis, la relégation n’entraîne pas la perte de droits civils, l’expatriation oblige à quitter son pays et la déportation est synonyme de perpétuité. Destierro, quant à lui, est un terme qui semble contenir tous les autres. En 1844, la compilation des lois d’Outre-Mer de José María Zamora y Coronado ne mentionne que l’extrañamiento de las Indias et le destierro qu’il assimile à la déportation. Pendant le règne d’Isabelle II, les bannissements intérieurs pour délits politiques sont nombreux. En 1874, le Dictionnaire de la Jurisprudence Pénale d’Espagne de Marcelo Martínez Alcubilla décrit le confinement, le bannissement (destierro), la relégation et l’expulsion comme des peines de même nature, qui ont toutes pour objet « d’éloigner le coupable de l’endroit où a été commis le délit et où il peut par conséquent être dangereux». En 1884, sous le règne d’Alphonse XII, le terme désigne à la fois l’action de bannir, la peine de bannissement et le lieu de bannissement. Les usages du terme dans les archives consultées montrent que cet élargissement sémantique est déjà acquis avant d’être entériné par le dictionnaire de la Real Academia.
Extrait (affiché dans les listes) : Le terme est employé autant par les acteurs victimes de bannissement eux-mêmes, que par les autorités hispaniques à l’origine du bannissement, ainsi que par les observateurs du phénomène. Il est utilisé en Espagne péninsulaire et insulaire (Îles Canaries, Îles Baléares), et plus largement dans tout le monde hispanophone du XIXe siècle : Amérique centrale, Caraïbes, Amérique du Sud et Philippines. On retrouve également quelques occurrences dans les lieux de bannissement qu’étaient alors les présides d’Afrique espagnole (Ceuta, Melilla, îles Chaffarines) et l’île de Fernando Póo…