Le vocabulaire de l'exil
Etats italiens
« Deportazione », les formes de déplacement forcé dans le code pénal du Royaume des Deux-Siciles de 1819
Vocabolario degli accademici della Crusca, vol. 2, Stamperia dell’Accademia, 1691, Codice per lo Regno delle Due Sicilie, Parte seconda, leggi penali, Naples, Stabilimento tipografico di D. Capasso, 1849.
Roberti, Corso completo del diritto penale del Regno delle Due Sicilie, Naples, Fibreno, 1833, 4 volumes.
Augusto, B. Carobelli, Istituzioni di diritto penale sulle leggi del Regno delle Due Sicilie, Naples, R. Manzi, 1833.
Tommaseo, Nuovo dizionario dei sinonimi della lingua italiana, Florence, Gio. Pietro Viesseux, 1838.
Le code pénal adopté par Ferdinand IV, roi des Deux-Siciles, en 1819 a pour objet à la fois de fournir au royaume une codification moderne des infractions et des peines jusque-là inconnues dans la tradition juridique bourbonienne –, en remplaçant le code précédent, donné au Royaume de Naples par Joaquim Murat en 1812.
Dans ce nouveau cadre juridique, le mot deportazione – qui dans le code du roi français désignait une peine spécifique (une relegazione perpétuelle) – devient un terme générique pour désigner tous les degrés de l’échelle des peines comportant le déplacement forcé d’un individu (et non pas d’une masse, comme sera l’acception majoritaire au XXe siècle) à l’extérieur comme à l’intérieur des frontières de l’État.
L’exil hors du royaume et la relégation sont des « peines criminelles » : elles visent à libérer la société d’un danger et à mettre un criminel dans l’impossibilité de nuire ; le confino et l’exil correctionnel sont en revanche des « peines correctionnelles » qui ont une moindre durée et visent à la rééducation du coupable.
L’exil est le transport du condamné hors des frontières nationales assorti de l’interdiction du retour perpétuelle ou temporaire, d’un minimum de cinq à un maximum de vingt ans (art. 13) ; il est considéré une peine connaturelle aux crimes contre le trône et l’autel : dans sa version perpétuelle, il frappe ceux qui enseignent publiquement des doctrines contraires à la morale et aux dogmes catholiques ainsi que les coupables de conspiration. Dans sa version temporaire, l’exil punit ceux qui transmettent des informations importantes à des puissances alliées ou encore tous ceux qui sont affiliés à des sociétés secrètes, en l’absence de tout autre méfait lié à cette affiliation.
Il est intéressant de remarquer que, bien que le but principal des peines criminelles soit la neutralisation d’un individu dangereux, la doctrine juridique napolitaine s’appuie sur les écrits de Cesare Beccaria pour justifier la légitimité de l’exil et, surtout, le présente comme un avantage pour le condamné car celui-ci est éloigné « de toutes les causes d’irritation envers la société », ce qui « le place, pour ainsi dire, dans un état d’innocence et de calme sous un nouveau ciel, le libère du fâcheux souvenir de son méfait et lui donne à nouveau l’opportunité de choisir entre le bien et le mal » (B. Augusto, B. Carobelli, Istituzioni di diritto penale sulle leggi del Regno delle Due Sicilie, Naples, R. Manzi, 1833).
La relegazione est une sorte d’exil interne, en vertu duquel le condamné est transporté sur une île et forcé à y résider de six à dix ans, tout en étant libre de circuler à l’intérieur de cette dernière. Le décret royal du 22 novembre 1825 désigne les îles réservées à cette peine : Ventotene, Ponza, Capri, l’archipel des Tremiti, Lipari, Ustica, Pantelleria et Favignana.
Beaucoup plus fréquente que l’exil dans les articles du code pénal, la relegazione punit ceux qui « sans finalité politique » détruisent des images du roi, mais aussi typiquement les officiers et fonctionnaires publics qui se montrent corrompus, négligents ou peu attachés au service de la couronne,la falsification de passeports, l’introduction dans le royaume d’écrits interdits traitant de matières politiques ou religieuses, et finalement celles qui avortent ou aident à avorter.
Le confino et l’esilio correzionale, quant à eux, n’ont pas pour objet de délivrer la société d’éléments dangereux mais plutôt d’éloigner un individu de sa communauté (d’un village dans le cas du confino, du district dans le cas de l’esilio correzionale) où des inimitiés pourraient déboucher sur des conséquences plus graves si l’autorité n’intervenait pas pour éloigner l’un des protagonistes. Les deux peines, en fait – souvent prévues comme alternatives possibles à l’emprisonnement – frappent tous les comportements qui peuvent faire scandale (enlèvement d’une fille pour l’épouser, chansons contre la religion, enterrement non autorisé d’un cadavre etc.) ou encore attiser les rivalités dans une petite communauté (injures, escroqueries, coups et blessures).
Comme le remarquent aussi les auteurs les plus avancés de la doctrine juridique napolitaine, ces dernières peines s’avèrent complètement inefficaces contre les propriétaires, qui peuvent continuer à percevoir leur rente même dans le lieu de résidence contraint, tandis qu’elles s’avèrent très pénalisantes pour les artisans et les journaliers, qui se trouvent ainsi dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de leurs familles.