Le vocabulaire de l'exil
Grande Bretagne
« Asylum »
Asylum, mot latin transcrit du grec, a intégré le vocabulaire anglais par le biais du français à la fin du XIVe siècle. Les termes Asile et Asilum apparaissent dans différents textes importantes de moyen-Anglais, notamment dans la traduction de la Bible attribué de John Wycliffe au cours des années 1380 et 1390, ainsi que dans le poème épique The Fall of Princes de John Lydgate datant des années 1430. L’usage dominant de ces termes ressort de leur absence des premiers dictionnaires de mots « difficiles » (‘hard word’), tels que celui de Robert Cawdrey (A Table Alphabetical, 1604), qui donne seulement des définitions de néologismes ou de mots au sens obscur.
On retrouve le terme moderne asylum dans la plupart des dictionnaires « généraux » du XVIIIe siècle. L’Universal Etymological Dictionary de Nathan Bailey (Londres, 1721) le définit simplement comme « un sanctuaire, un lieu de refuge pour les criminels en fuite ». Le Dictionary of the English Language de Samuel Johnson (Londres, 1755) offre une définition plus expansive : « Un lieu d’où celui qui a fui ne peut être pris ; un refuge ; un sancturaire », ajoutant dans les éditions ultérieures « un lieu de retraite et de sécurité » (Londres, 1785). Des définitions plus détaillées sont données dans les encyclopédies de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, comme dans l’Encyclopaedia Britannica (1771), l’English Encyclopaedia (1802), la London Encyclopaedia (1829), l’Edinburgh Encyclopaedia (1830), et l’Encyclopaedia Metropolitana (1845).
Les lieux d’asile, tels qu’il sont définis dans ces différents volumes, sont spatialement circonscrits à des autels, des temples ou des églises de l’Europe antique et médiévale, autant de lieux depuis lesquels une personne ne pouvait être extraite de force sans sacrilège. Dans certains cas, des villes entières fonctionnaient comme des lieux d’asile. Les plus célèbres sont les six « villes de refuge » de l’Israël antique et de Judée, qui protégeaient les personnes coupables d’homicide involontaire des représailles violentes. Dans la Rome de l’époque de Romulus, l’asile était plus largement offert à « toutes personnes sans distinction… afin de peupler la ville » (Britannica, 1854).
La Grande-Bretagne moderne a vu également se développer des formes d’asile destinées aux personnes nécessitant un « secours ». L’État a maintenu des lieux d’asile pour les anciens combattants mutilés, de l’armée de terre ou de la marine, et, à partir de 1845, chaque autorité locale était tenue de garantir l’asile aux aliénés. Au cours du XIXe siècle, l’état et des associations philanthropiques ont créé des asiles pour orphelins, aux infirmes, aux personnes âgées, aux femmes « perdues » ou encore aux individus jugés vulnérables.
Le premier article dans un encyclopédie présentant le mot ‘asylum’, Encyclopaedia Britannica,3 vols. (Edinburgh: 1771), vol. 1, p. 500.
Au début du XIXe siècle, la nation britannique entière était considérée comme une grande terre d’asile pour les étrangers fuyant les persécutions politiques et religieuses. Lors des guerres de l’époque de la Révolution française et du Premier Empire, la Grande-Bretagne a accueilli des dizaines de millers d’émigrés issus du clergé, des mouvances légitimiste et constitutionnaliste. Au cours des trois siècles précédents, divers groupes de réfugiés allant des protestants allemands aux juifs ibériques, des philosophes français aux loyalistes américains, avaient périodiquement rejoint la Grande-Bretagne. En 1815, l’asile était donc une tradition ancrée, même « ancienne ». Pourtant, tout au long du XIXe siècle, les conditions de cette tradition, sinon son existence, étaient régulièrement contestées. Pour les conservateurs, certains groupes de réfugiés, comme les révolutionnaires des années 1820 ou les anarchistes des années 1880-1890, étaient dangereux : il convenait de leur refuser l’entrée sur le sol britannique, ou bien de les placer sous surveillance et même de les expulser. Ils s’inquiétaient des « abus » de l’asile offert par la Grande-Bretagne et estimaient que celui-ci devait être limité aux exilés qui avaient accepté de se tenir loin des affaires politiques de leur pays d’origine. Au contraire, les libéraux et les radicaux firent preuve d’ouverture, faisant valoir que de telles restrictions compromettaient l’intégrité et la sécurité de l’asile britannique. Selon eux, nul besoin de prévoir l’expulsion de réfugiés étrangers jugés dangereux. La législation britannique permettait déjà le contrôle de ces derniers à l’intérieur des frontières et la Grande-Bretagne devait garantir un « droit d’asile » absolu contre l’expulsion.
Une définition détaillée de l’asile dans la presse populaire. ‘The Rights of the Exile in Danger’, The Cheshire Observer and General Advertiser, 10 novembre 1855, p. 7.
La position libérale sur l’asile s’imposa en Grande-Bretagne pendant l’ère victorien et il ne fut pas adopté de lois restreignant l’asile politique. On s’abstint même de définir légalement le statut de « délinquant politique » (« political offender ») afin d’éviter l’expulsion de certains réfugiés. Néanmoins, les juristes s’intéressèrent au sujet, arguant souvent que les textes emblématiques du droit anglais, comme la Magna Charta, l’Habeas Corpus et les décisions judiciaires interdisant l’esclavage, fournissaient de puissantes protections pour les réfugiés étrangers. L’avocat William Empson soutenait que le poids de ces précédents juridiques, de la jurisprudence et de la pratique constitutionnelle avait poussé la Grande-Bretagne à offrir un « asile gratuit, entier et inconditionnel » (« The Alien law of England », The Edinburgh Review, 1825). De même, dans sa Constitutional History of England (1861-1863), Thomas Erskine May définissait le « droit d’asile » comme une « liberté du sujet», affirmant que l’asile absolu était profondément ancré dans la constitution britannique.
Nombreux étaient ceux qui définissaient le droit d’asile comme un aspect ancien et inviolable de la constitution britannique. Thomas Erskine May, The Constitutional History of England,(Londres, Longman, Green, Longman, Roberts, & Green, 1861-3), vol. 2 (1863), p. 300.
La Grande-Bretagne était unanimement reconnue comme une terre d’asile internationale à l’époque. Dans la préface de son roman The Refugee (Londres, 1857), Alfred Godwine rappellait à ses lecteurs que « Londres a servi temporairement d’asile à Espartero et Metternich, à Louis-Philippe et à Ledru-Rollin ». Les réfugiés eux-mêmes se faisaient les promoteurs enthousiastes, en particulier dans les écrits qu’ils adressaient au public anglais. Giuseppe Pecchio désignait la Grande-Bretagne comme une nouvelle Venise, « l’asile de tous les malheureux » (Semi-serious observations of an italian exile, during his residence in England, Londres, 1833). Louis Blanc confortait l’attitude triomphaliste de nombreux Britanniques en ouvrant ainsi la préface de la traduction anglaise de son histoire de la révolution de 1848, Historical Revelations (Londres, 1858): « Ce sera toujours à la gloire de l’Angleterre d’avoir été, au milieu du XIXe siècle, le seul asile inexpugnable en Europe, pour l’exilé chassé de son pays par l’absolutisme et l’usurpation […]. Elle est, en réalité, le dernier sanctuaire en Europe ouvert à l’esprit humain lui-même ».