Cartothèque
Itinéraires de l'exil
Retour d’exil et secours de route. Le trajet vers l’Espagne du carliste Juan Esquerré

La révolution progressiste qui renverse la reine Isabelle II en Espagne en 1868 ouvre la voie à une expérience démocratique de six ans connue sous le nom de Sexennat Démocratique. L’instabilité politique de ces années permet aux carlistes de s’imposer à nouveau comme des acteurs majeurs du champ politique espagnol, d’abord en participant aux élections de 1868 à 1872, puis en reprenant le chemin de la guerre civile entre 1872 et 1876. Cette guerre de quatre ans menée contre le gouvernement légal est rendue possible par le soutien que les carlistes reçoivent depuis l’étranger et de l’utilisation qu’ils font du territoire français, auxquels sont adossés leurs bastions pyrénéens.
Pendant quatre ans, nombreux sont les carlistes qui passent en France, pour les motifs les plus divers : pour échapper aux combats mais aussi pour remplir des missions destinées à favoriser la cause. En France, ils sont soumis à la répression d’un État soucieux de préserver ses bonnes relations avec le gouvernement espagnol, mais ils bénéficient aussi de structures et de réseaux de solidarité. C’est l’entrelacement et la variété de ces expériences que ce corpus se propose d’étudier à partir de cas individuels rencontrés dans des sources de différentes natures.
Assez rapidement pourtant, le pouvoir alphonsiste, soucieux de mettre fin aux discordes civiles et d’organiser le retour à l’ordre, s’efforce d’obtenir la soumission des anciens insurgés. En mars, le gouvernement espagnol publie un indulto, c’est-à-dire une grâce, dont peuvent bénéficier les carlistes, moyennant une soumission explicite au nouveau roi. En échange de cette soumission, qui doit être faite devant un consul espagnol en France, les anciens soldats sont autorisés à rentrer en Espagne. La procédure existait de longue date au niveau individuel. Issus principalement des classes populaires, paysans et artisans dans la majorité des cas, les exilés carlistes n’ont cependant ni les moyens ni le capital culturel pour rentrer vers leur pays par leurs propres moyens. Soucieux de se débarrasser au plus vite de réfugiés qui lui coûtent cher, le gouvernement français fait bénéficier les carlistes désireux d’accepter l’indulto d’un passeport d’indigent accompagné de secours de route leur permettant de se diriger vers la frontière.
La carte représente ainsi l’itinéraire d’un soldat carliste parmi tant d’autres, Juan Esquerré, issu de la province catalane de Lérida. Interné à Périgueux, il demande à bénéficier de l’indulto dès la mi-février 1876, avant même la mesure d’amnistie générale du mois de mars. Il se présente très probablement au consul espagnol de Perpignan, qui est une des portes d’entrée des réfugiés carlistes qui rentrent en Espagne. Entre Périgueux et Perpignan, Juan Esquerré reçoit le soutien financier de la République française sous la forme de secours de route versés par les maires de différentes villes étapes définies par avance. Ces secours sont tout autant une aide financière qu’un moyen pour les autorités de contrôler les déplacements des réfugiés. Juan Esquerré parcourt ainsi seize étapes réparties sur six départements, au cours desquelles les maires visent son passeport et lui remettent des sommes ne dépassant pas deux francs, moyens de s’assurer que le réfugié se présentera à l’étape suivante.
Gérard Noiriel, Réfugiés et sans-papiers : la République face au droit d’asile,xixe-xxe siècles, Paris, Seuil, 2006.
Emmanuel Tronco, Les Carlistes espagnols dans l’Ouest de la France, 1833-1883, Rennes, PUR, 2010.