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Répartition résidentielle des réfugiés secourus en France, 1831
Titre : Répartition résidentielle des réfugiés secourus en France, 1831
Source : Archives Nationales de France, C/749
Auteur de la notice : Delphine Diaz
Auteur de la carte : Hugo Vermeren
La révolution des Trois Glorieuses, en juillet 1830, a renforcé l’attrait qu’exerçait la France comme pays d’accueil pour les exilés politiques en Europe. Au début de son règne, Louis-Philippe Ier a choisi de poursuivre les secours accordés sous le régime précédent, la Restauration, à certains groupes de réfugiés admis sur le sol de la monarchie et aidés financièrement par le ministère de l’Intérieur, comme les libéraux portugais qui avaient débarqué en France en 1829. Mais le régime orléaniste a également fait face à l’arrivée aux frontières de nouveaux groupes d’exilés auxquels les secours du gouvernement ont été largement accordés, en contrepartie de pratiques d’assignation à résidence qui seront formalisées dans la première loi relative aux « étrangers réfugiés » du 21 avril 1832.
Daté de septembre 1831, un riche dossier conservé aux Archives nationales de France éclaire avec précision les origines nationales des réfugiés secourus par le régime de Juillet à ses débuts. À cette date, trois différents groupes se partagent alors les secours du gouvernement. Les libéraux espagnols, en butte avec la monarchie de Ferdinand VII, forment plus de la moitié des étrangers qui bénéficient alors d’une aide du ministère de l’Intérieur français (53,3 % du total). Viennent en seconde position les Italiens, représentant 28,4 % de l’ensemble, et au troisième rang les libéraux portugais, qui avoisinent encore le millier de personnes et constituent près de 18 % de l’effectif total. Les autres origines géographiques représentées demeurent alors extrêmement minoritaires (un seul réfugié allemand ; 21 Polonais). Ce corpus cartographique se propose d’éclairer la répartition résidentielle des réfugiés secourus sur le territoire français en septembre 1831.
Espagnols
Dès la fin du Premier Empire, la France a été un lieu d’asile pour les exilés espagnols : entre 1813 et 1814, les « joséphins » (afrancesados) qui avaient collaboré avec l’administration napoléonienne en Espagne franchissent en grand nombre les Pyrénées. Avec la restauration de l’absolutisme par le roi Ferdinand VII d’abord en 1813, puis en 1823 après la parenthèse du Trienio liberal (1820-1823), durant laquelle des réfugiés monarchistes ont été contraints au départ, ce sont ensuite des libéraux (liberales) qui sont amenés à trouver refuge dans la France de la Restauration.
Même si elle n’a pas agi comme « un catalyseur » pour les libéraux espagnols (Jean-Philippe Luis), la révolution de juillet 1830 a représenté pour eux un véritable espoir. Certains d’entre eux, depuis l’exil en France, ont tenté des expéditions pour renverser le régime en place de l’autre côté de la frontière, notamment en septembre-octobre 1830, avant que Louis-Philippe ne soit reconnu comme roi par Ferdinand VII, reconnaissance qui a conduit à un tournant dans la politique du régime de Juillet vis-à-vis des Espagnols présents sur son sol.
En septembre 1831, au moment où est rédigée la note parlementaire sur laquelle est fondée la présente carte, les exilés espagnols auxquels le ministère de l’Intérieur français verse des secours sont pour l’essentiel engagés dans le camp du libéralisme pourfendu par Ferdinand VII. Le rapport sur les réfugiés étrangers alors secourus met en valeur l’importance quantitative des Espagnols au sein de ce groupe (53,3%), tout en distinguant deux situations pour cette origine nationale particulière : d’une part, les Espagnols « assignés dans les dépôts » de réfugiés (2 294 personnes) et d’autre part, ceux « disséminés dans les départements » (463), bénéficiant d’une plus grande liberté de mouvement. La cartographie des départements où les réfugiés espagnols sont assignés dans des « dépôts » montre la volonté du gouvernement de les regrouper dans des départements dits « de l’intérieur », au centre de la France, à distance de la capitale et des frontières (Cher, Corrèze, Dordogne, Puy-de-Dôme et Vienne). En revanche, la répartition spatiale des réfugiés espagnols « disséminés dans les départements » suggère que de nombreuses dérogations étaient octroyées à certains réfugiés espagnols issus des élites qui souhaitaient fixer leur résidence dans les villes de Paris, Bordeaux et Marseille.
Portugais
Au Portugal, la mort du roi Jean VI, en 1826, déclenche une situation de guerre civile. Dom Pedro, fils aîné du roi défunt, est d’ores et déjà empereur du Brésil depuis 1822 et préfère renoncer à la couronne du Portugal en faveur de sa fille âgée de sept ans, Dona Maria da Gloria. Mais le frère de Dom Pedro, l’infant Dom Miguel, un ultra intransigeant, devient alors régent du royaume : il profite de la situation de faiblesse de sa nièce pour se faire proclamer unique roi légitime du Portugal et pour abolir la Charte constitutionnelle en 1828. S’ensuit une véritable guerre entre les partisans de Dom Miguel, appelés les « miguélistes », et les défenseurs de Dom Pedro et de sa fille, conflit qui ne prend réellement fin qu’en 1834. Dans ce contexte, en janvier 1829, 633 Portugais libéraux, partisans de Dona Maria da Gloria, débarquent sur le littoral français, à Brest. S’ajoutent ensuite à ce groupe d’autres exilés qui gagnent la France en passant par l’Espagne et la frontière pyrénéenne. Ainsi, en septembre 1831, les libéraux portugais secourus par la monarchie de Juillet, qui a choisi de poursuivre cette aide accordée par le précédent régime, représentent près d’un millier de personnes. On connaît la résidence assignée à 917 d’entre eux, comme le met en lumière la carte qui éclaire leur répartition résidentielle au début de la monarchie de Juillet. Tandis que les deux départements du Finistère (par lequel beaucoup d’entre eux étaient arrivés) et de l’Ille-et-Vilaine sont les plus importants à accueillir ces Portugais (presque 60% du groupe), Paris est aussi un lieu de résidence pour 20% d’entre eux.
Italiens
Les échos de la révolution de juillet 1830 se sont étendus dans toute l’Europe, et se sont répercutés précocement dans la péninsule italienne, notamment dans le Duché de Ferrare, où, dès le mois d’août, la révolution des Trois Glorieuses a été chaudement acclamée. Mais c’est en janvier 1831 qu’ont lieu les premières émeutes insurrectionnelles dans les États pontificaux et dans le Duché de Modène, à tel point que, le mois suivant, toute l’Italie centrale est embrasée. La répression en Italie centrale est à l’origine de flux migratoires en direction de la France, après ceux du début des années 1820. Au total, plus de 1 500 passeports auraient été accordés par la France à des sujets du Pape au cours de l’année 1831.
En septembre 1831, les 1 324 réfugiés italiens secourus et assignés à résidence à la demande du ministère de l’Intérieur français se répartissent entre neuf départements. Parmi eux, se distingue d’abord la Saône-et-Loire, où a été fixé un important dépôt de réfugiés à Mâcon (438 réfugiés en septembre 1831, mais qui a compté jusqu’à 702 noms d’Italiens au cours des années 1831-1832, avant sa dissolution par le ministère de l’Intérieur en septembre 1832). Puis viennent le département de l’Allier, où un autre dépôt de réfugiés italiens a été fixé à Moulins, qui sera lui aussi fermé en 1832, et le département de la Seine : malgré les interdictions pour les réfugiés secourus de vivre dans la capitale, interdictions énoncées par la préfecture de police de Paris pour des raisons à la fois policières et politiques en septembre 1831, nombreux (257 au total) sont les réfugiés italiens à avoir obtenu des dérogations pour y résider. On peut souligner que la répartition résidentielle des Italiens secourus sur le territoire du royaume varie en fonction du sexe, de l’âge et du statut social. Tandis que 19 % des réfugiés italiens issus des élites civiles ou militaires – magistrats, officiers, propriétaires, avocats, médecins et étudiants – vivent dans le département de la Seine, tel est le cas de 14 % seulement des sous-officiers, soldats, ouvriers et domestiques recensés parmi ce groupe. De la même manière, les femmes et les enfants sont proportionnellement plus nombreux à vivre à Paris (pour 21 % de ce groupe) : cela s’explique sans doute par le fait que seules les pères de famille les plus aisés pouvaient faire venir et entretenir leurs femmes et enfants dans l’exil.
Delphine Diaz, Un asile pour tous les peuples ? Exilés et réfugiés étrangers dans la France du premier XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2014.
Gérard Noiriel, Réfugiés et sans-papiers : la République face au droit d’asile, xixe-xxe siècles, Paris, Seuil, 2006.