Cartothèque
Itinéraires de l'exil
La trajectoire mouvementée du révolutionnaire italien Giovanni Battista Rotondo
Cette carte montre le parcours politique troublé et l’itinéraire carcéral de Giovanni Battista Rotondo, étrange professeur de langue qui a été l’un des patriotes italiens les plus exaltés de la période révolutionnaire. Plus que du parcours classique d’un politicien libéral exilé de sa patrie, il s’agit ici de la trajectoire particulière d’un homme qui se radicalise à l’étranger, notamment dans les taudis du Paris en révolution. Rotondo se révèle être un aventurier qui arrive, avec ses propos exagérés et son activité à la limite de la légalité, à susciter les suspicions de la police et l’aversion des autres milieux criminels. Mais il s’avère aussi capable d’utiliser ces mésaventures pour acquérir plus de notoriété dans les milieux révolutionnaires européens. Ainsi, à l’été 1792, le journal Argus Patriote, le citant parmi les étrangers les plus dangereux demeurant à Paris, le décrit comme un homme pas particulièrement « fort en politique », mais capable de « servir de machine ouvrière » pour certains « grands réformateurs ».
Obligé de fuir la France à cause de sa participation aux massacres de septembre 1792, il est arrêté en Suisse en 1793, et ne sera libéré qu’en 1796. Auparavant protagoniste direct des phases les plus intenses de la Révolution française, dès sa mise en liberté Rotondo rentre à Milan, où il est vite impliqué dans le processus de démocratisation se déclenchant en Italie lors du Triennio 1796-1799. Mais sa participation aux nouvelles institutions républicaines ne durera pas longtemps.
Né le 29 janvier 1749 près de Milan, pendant les années 1770, Giovanni Battista Rotondo occupe la fonction de commis du bureau de l’Intendance Royale. Après avoir démissionné en 1782, il quitte Milan pour démarrer ses voyages dans la péninsule. Il est à Reggio de Calabre quand, en février 1783, le tremblement de terre qui frappe la ville l’oblige à se réfugier à Rotterdam [en bleu sur la carte].
Pour se soustraire aux investigations de la police, il est obligé de s’échapper en Suisse, avant d’aller s’installer à Bruxelles. Au cours de ces pérégrinations, il se rend à Paris, où, à l’automne 1784, il est arrêté pour vol et escroquerie. La détention ne durant que quelques semaines, il déménage à Londres, où il travaille comme maître de langues jusqu’à l’été 1789, moment où la nouvelle de la « révolution la plus extraordinaire qu’on a jamais vu en plusieurs siècles » le pousse à retourner à Paris. Là, il se lie avec les chefs du courant radical de la ville, et notamment avec le général Santerre, et ouvre des cours de langues au Palais Royal [en orange sur la carte]. Néanmoins, début décembre 1790, la police procède à son arrestation : d’après plusieurs témoignages, le professeur italien aurait tenu dans le café du Palais Royal des « propos incendiaires, tant contre sa Majesté qu’il traitait d’homme faible, que contre la reine ». Libéré un mois plus tard, il entre officiellement au Club des Cordeliers, mais, lors des émeutes du 17 juillet 1791, il est à nouveau arrêté pour ses propos incendiaires à la suite de la fusillade du Champ de Mars. Même là, sa détention ne durera que quelques semaines, bien que dans son appartement la police trouve des lettres compromettantes de Marat. L’été suivant, il participe à la prise des Tuileries du 10 août et aux massacres de septembre. Arrivé à Angers comme renfort des deux Commissaires “septembriseurs”, il est obligé de s’enfuir à cause de ses différends avec la Municipalité de cette ville. Même situation à Rouen, ce qui le pousse à quitter la France pour rejoindre l’Angleterre. Persécuté aussi à Londres à cause de ses propos contre la famille royale, il décide de se réfugier à Genève, où il est arrêté début avril. Sa détention, cette fois, ne s’achève qu’au bout de trois ans et demi, car, après avoir été transféré d’abord dans le canton de Berne, puis en Piémont, Rotondo sera libéré seulement en décembre 1796, probablement à la suite de l’entrée des armées françaises en Italie. À l’origine de son passage dans les prisons du royaume sarde, il y a une accusation très grave : il est considéré comme l’auteur de l’homicide de la princesse de Lamballe, l’amie de la reine Marie Antoinette, née à Turin et morte à Paris au cours des massacres de septembre 1792.
Sorti de prison le 13 décembre 1796, après un court passage à Gênes, Rotondo peut finalement rentrer dans sa terre natale, où il publie l’été suivant à Milan ses Memorie storiche, qu’il consacre aux « patriotes de tout l’univers ». Chargé par le Ministre de la Police Porro de « se rendre dans plusieurs endroits d’Italie afin de fraterniser avec les peuples libres », il se rend d’abord à Modène, puis à Bologne, et enfin à Livourne [en rouge sur la carte]. La République Romaine proclamée en février 1798, il arrive à Rome, d’où il décide de se rendre à Naples afin de préparer avec les patriotes méridionaux une invasion du Royaume de Naples.
Découvert par des espions, il est obligé de s’enfuir : il décide alors de démissionner et de reprendre en France son métier de professeur [en vert sur la carte]. Après un court séjour à Livourne et Nice, Rotondo atteint Paris, mais il est vite arrêté « comme ultra-révolutionnaire ». Obligé de quitter les territoires français, il est conduit sous escorte jusqu’à Milan. À partir de ce moment, il sort de la scène politique tant en Italie qu’en France. Nous perdons en fait sa trace pendant la première décennie du XIXe siècle, avant de le retrouver, à l’automne 1811,sur les routes du Piémont, où il se fait arrêter, pour la énième fois, accusé d’avoir commis un « vol à main armée ».
David ANDRESS, Massacre at the Champ de Mars. Popular dissent and political culture in the French Revolution, Woodbridge, Boydell, 2000, p. 181.
Georges LENôTRE, Rotondi-Rotondo, professeur de langues, en ID., Vieilles maisons, vieux papiers, Perrin, Paris, 1961, t. 2, p. 129-149.
Albert MATHIEZ, Le Club des Cordeliers pendant la crise de Varennes et le massacre du Champ de Mars, Paris, Champion, 1910, t. 1, p. 16-35.
Giuseppe ROBERTI, « Un septembriseur Italien », Revue historique vaudoise, n. 7 (1899), p. 65-76.
Giovanni Battista ROTONDO, Memorie storiche del professore Gio. Bat. Rotondo, cioè delle avventure più rimarchevoli della sua vita dall’anno 1782 fino al 1796 inclusivo, scritte da lui medesimo, Milan, Villetard, 1797.
François UZUREAU, Les agents des septembriseurs à Angers, Angers, Grassin, 1914.