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Internement et solidarité transnationale. Le parcours des exilés carlistes Victoriano et Nicolás Alcoya

Titre : Internement et solidarité transnationale. Le parcours des exilés carlistes Victoriano et Nicolás Alcoya
Auteur de la notice : Alexandre Dupont
Auteur de la carte : Alexandre Dupont
Date de publication de la notice : 2017/06/23
Dès le premier conflit qui les avait opposés au gouvernement libéral de Madrid entre 1833 et 1840, les contre-révolutionnaires espagnols, nommés carlistes en raison de leur soutien aux prétendants successifs qui portent presque tous le nom de don Carlos, avaient connu des expériences d’exil en France, la plus connue étant l’exil massif consécutif à leur défaite, qui avait vu passer en France, entre 1839 et 1840, près de 40 000 combattants.
La révolution progressiste qui renverse la reine Isabelle II en Espagne en 1868 ouvre la voie à une expérience démocratique de six ans connue sous le nom de Sexennat Démocratique. L’instabilité politique de ces années permet aux carlistes de s’imposer à nouveau comme des acteurs majeurs du champ politique espagnol, d’abord en participant aux élections de 1868 à 1872, puis en reprenant le chemin de la guerre civile entre 1872 et 1876. Cette guerre de quatre ans menée contre le gouvernement légal est rendue possible par le soutien que les carlistes reçoivent depuis l’étranger et de l’utilisation qu’ils font du territoire français, auxquels sont adossés leurs bastions pyrénéens.
Pendant quatre ans, nombreux sont les carlistes qui passent en France, pour les motifs les plus divers : pour échapper aux combats mais aussi pour remplir des missions destinées à favoriser la cause. En France, ils sont soumis à la répression d’un État soucieux de préserver ses bonnes relations avec le gouvernement espagnol, mais ils bénéficient aussi de structures et de réseaux de solidarité. C’est l’entrelacement et la variété de ces expériences que ce corpus se propose d’étudier à partir de cas individuels rencontrés dans des sources de différentes natures.
Pour de nombreux carlistes, pendant la guerre de 1872-1876, le passage en France se traduit par l’internement, une pratique ancienne de la part du gouvernement dans la gestion des exilés, qui consiste à les assigner à résidence dans une ville en échange du versement de secours. L’objectif, alors que la guerre civile bat son plein, est d’empêcher que les carlistes passés en France ne puissent repartir en Espagne et reprendre les armes en faveur du prétendant. Ce qui n’empêche pas l’évasion d’un certain nombre d’internés dont le but est de regagner leur pays.C’est le cas des frères Victoriano et Nicolás Alcoya, internés à Lille et qui tentent par deux fois de rentrer en Espagne clandestinement, avant de faire leur soumission au consul espagnol à Perpignan, sans qu’on en sache les raisons. Le consul leur fait raconter leur parcours : c’est ce récit qui nous est parvenu, et la carte reproduit ce parcours.
Le cas des frères Alcoya montre bien la dialectique qui existe tout au long de la guerre entre répression étatique et solidarité transnationale clandestine. Arrêtés et internés à Lille, les deux hommes s’évadent au printemps 1875 et se rendent à Paris auprès de Carlos Algarra, un carliste installé en France depuis la fin du conflit de 1833-1840 et qui leur fournit une lettre de recommandation pour le secrétaire de l’archevêque d’Orléans. Arrivé dans le Loiret, les frères constatent la mort de leur contact sur place et sont appréhendés par les autorités et internés à nouveau à Lille.
Victoriano et Nicolás tentent alors de passer par une nouvelle filière d’acheminement vers l’Espagne, qui s’avère plus fructueuse, même si leur trajet s’arrête à Perpignan. Ils sont d’abord aidés par les frères Benítez Caballero, internés respectivement à Lille et à Paris. Ils sont envoyés auprès du prêtre Mateu Bruguera à Toulouse, qui connaît bien le milieu pro-carliste dans la région de la frontière. Ce prêtre les oriente vers Léon de Saint-Martory, libraire de Perpignan et pivot de l’aide au carlisme dans les Pyrénées-Orientales. Celui-ci avait tout prévu pour la suite et leur avait remis une lettre pour Nicolas Villa, un passeur de la ville frontalière de Prats-de-Mollo, et une pour le chef de la douane carliste installée côté espagnol à Camprodon. La solidarité pro-carliste, qui rassemble Français et Espagnols, s’avère donc efficace dans l’organisation clandestine de filières de passage vers l’Espagne.
Alexandre Dupont, « Entre exil et emprisonnement, l’originale expérience des carlistes en France (1868-1876) », in Nicolas Beaupré et Karine Rance (dir.), Arrachés et déplacés. Réfugiés politiques, prisonniers de guerre et déportés (1789-1918), Clermont-Ferrand, Presses de l’Université Blaise Pascal, p. 145-164.
Lluís Ferran Toledano González, « Refugio militar y santuario político : el exilio carlista en los Pirineos Orientales », in Julio Hernández Borge et Domingo González Lopo (ed), Exilios en la Europa mediterránea, Santiago de Compostela, Universidad de Santiago de Compostela, 2010, p. 131-161.
Emmanuel Tronco, Les Carlistes espagnols dans l’Ouest de la France, 1833-1883, Rennes, PUR, 2010.