Gerhard R. Kaiser (éd.), Deutsche Berichte aus Paris, 1789-1933. Zeiterfahrung in der Stadt der Städte, Göttingen : Wallstein, 2017, 550 p., EAN 9783835330184.
Ludwig Börne (1786-1837)
Paris vu par les Allemands : les récits et témoignages rassemblés dans cette volumineuse anthologie s’intéressent autant aux évolutions politiques, sociales et sur le plan des mœurs, qu’à l’actualité littéraire, culturelle ou encore aux innovations scientifiques, technologiques ou architecturales. Leur somme documente enfin de façon systématique et appropriée l’intérêt allemand pour la métropole française, de la Révolution française jusqu’à l’accession d’Hitler à la chancellerie. Si le sujet évoque la grande enquête de Karlheinz Stierle, traduite en français sous le titre La capitale des signes. Paris et son discours1, les bornes chronologiques de l’étude présentée ici sont plus larges et surtout, quand K. Stierle enrichit l’histoire littéraire, le recueil de Gerhard Kaiser, en proposant une vue d’ensemble de l’intérêt des intellectuels allemands pour la capitale française, embrasse plus largement.
2L’auteur traite là d’un sujet qu’il connaît bien et sous un angle encore inexploré, puisqu’il a fait le choix d’exclure toute forme de fiction et de limiter cette anthologie aux comptes rendus, ce qui autorise les reportages, récits de voyage, témoignages, portraits, essais ou gloses, mais exclut notamment les romans. Il a par ailleurs écarté les extraits, choisissant (à de rares exceptions près) des textes déjà publiés de manière autonome. Qu’en est-il alors de la littérarité des textes : reportages ou récits de voyages sont-ils bien des textes littéraires, et la matière n’est-elle pas par trop aride ? Plus crûment, y a-t-il un intérêt, pour le lecteur non spécialiste, à lire ce genre d’écrits à un ou deux siècles de distance ? L’identité des auteurs offre un premier élément de réponse : nous sommes en des époques où journalistes et chroniqueurs peuvent s’appeler Heinrich Heine, Ludwig Börne, Karl Gutzkow puis Heinrich Mann ou Theodor Fontane ; en un mot, de très grands noms de la littérature se côtoient ici. Pour les trois premiers, écrivains de la Jeune Allemagne, Paris était la capitale, revendiquée ou secrète, bien davantage que Düsseldorf ou Berlin ; il n’était que naturel qu’elle devienne un sujet privilégié. En retour, la capitale française devint une école du journalisme allemand.
3Qu’ils soient célèbres ou tombés dans l’oubli, ce qui est commun à la plus grande partie de ces centaines de témoins, c’est combien dans leur manière de rendre compte, ils s’élèvent au-dessus des péripéties quotidiennes, essayant d’apporter de la compréhension, de rendre intelligibles les faits croqués sur le vif, de tirer quelque généralité y compris d’incidents particuliers. C’est d’ailleurs leur niveau qui leur a permis, après avoir été publiés dans la presse périodique, de paraître rapidement de manière indépendante (sous forme de brochure ou de livre). Par-delà leur diversité de ton et d’intérêt, ces écrits, les uns pleins d’esprit, d’autres à l’humour mordant, sont assurément des textes littéraires, dont certains de grande valeur.
4Stéphane Michaud, auteur au printemps 2017 d’une première recension de cette anthologie sous le titre Dernières nouvelles de Paris, y écrivait : « Les “nouvelles de Paris” rassemblées par Gerhard Kaiser […] pour la période qui va de 1789 à 1933 ont tant de fraîcheur et de nouveauté, qu’elles avivent le regard et réveillent l’intelligence. Elles focalisent l’attention sur une période qu’on ne questionne plus assez, et on espère qu’elles seront un jour traduites en français »2. « Réveiller l’intelligence », c’est bien ce qu’on ressent à la lecture, et il est certain que cet ouvrage en langue allemande intéresserait nombre de francophones.
5Un fil reliant l’ensemble du volume est la perception du temps qui passe, ce temps qui connaît plusieurs périodes de forte accélération. Il est donc assez logique que les contributions soient rangées strictement par ordre chronologique (de publication), puis divisées en chapitres suivant une périodisation historique. Les césures, en 1789, 1795, 1815, 1830, 1848, 1870/71, 1914 et 1933, années charnières de l’histoire contemporaine, marquent les bornes des chapitres. La dernière date vient clore l’ouvrage au moment où le flot de l’Allemagne vers Paris se fait pourtant particulièrement dense. Mais la rupture de 1933 est trop profonde et définitive pour passer outre, et peut-être cette date de fin symbolise-t-elle que même les nombreux intellectuels allemands en France sont désormais dans l’incapacité de s’adresser à leurs compatriotes restés au pays, tant les premiers sont censurés et calomniés, les seconds terrorisés ou empêchés de penser.
6Les chapitres sont précédés d’introductions de G. Kaiser revenant brièvement sur le contexte historique et présentant quelques-uns des textes ou des thématiques abordés. L’introduction à l’ensemble de l’ouvrage, dans laquelle Kaiser explicite ses choix et l’esprit de sa démarche, est de grande qualité et éclairante.
7L’objet de l’étude, appréhender systématiquement et sous une grande variété d’angles l’intérêt allemand pour Paris, implique l’ordre chronologique à même de documenter l’évolution de l’intérêt pour divers sujets. Dans la présente recension, nous avons pris le parti de réorganiser le tout en grands ensembles. L’avantage est de rendre compte ainsi le plus fidèlement possible de cette somme volumineuse, c’est-à-dire de la diversité des approches, et de dégager les grands sujets d’intérêt à l’égard de la capitale. Cette réorganisation fait apparaître l’évolution des sentiments de nos voisins et observateurs de la vie parisienne, dont le regard est souvent admiratif, et presque toujours bienveillant. Un apport supplémentaire de l’ouvrage est de montrer que l’intérêt allemand pour la capitale française est loin d’être le fait seulement de démocrates ou de progressistes : à toutes les époques, d’autres voix se font également entendre.