Appel à communications « Une diplomatie des mobilités – La gestion et le contrôle des « étrangers » par les agents diplomatiques (xvie-xixe siècles) »

Date limite de soumission : 1er juin 2018

Lieu : Institut historique allemand Paris
Date : 12-14 décembre 2018

Cette rencontre, qui s’inscrit dans le cadre du programme quinquennal de l’École Française de Rome Administrer l’étranger. Mobilités, diplomaties et hospitalité, Italie – Europe (xive-xixe siècle), aura lieu à l’Institut Historique Allemand les 12 et 14 décembre 2018. Elle vise à aborder une dimension encore trop peu explorée des pratiques diplomatiques : les modalités de contrôle et de gestion des « étrangers » par les agents en poste dans les différents États européens entre les xvie et xixe siècles.

L’enjeu de cette rencontre serait d’étudier la manière dont, parallèlement ou indépendamment des consuls, les acteurs diplomatiques, au sens large, procèdent pour favoriser, permettre, encourager la circulation et l’intégration de « leurs » étrangers au sein des États dans lesquels ils exercent. Par cette formule résolument ambiguë, il s’agira d’identifier tous les individus ou groupes qui, considérés comme « étrangers » dans un pays donné, bénéficient d’une protection diplomatique spécifique, dont il conviendra, suivant les lieux et les périodes, de déterminer l’étendue, la nature et les motifs. Ces « étrangers » choisis ne se réduisent pas aux ressortissants du pays dont l’ambassadeur est originaire : il peut s’agir d’individus ou de communautés protégées pour diverses raisons – qu’elles soient religieuses ou politiques (dans le cas des exilés « protestants » des xvie-xviie siècles ou des « patriotes » de la fin du xviiie-xixe siècle), diplomatiques (dans le cas de ceux sous la tutelle de princes ou d’États « alliés ») ou encore sociales, voire personnelles (pour tous ceux originaires du même pays que l’ambassadeur, qui n’est d’ailleurs pas nécessairement celui au service duquel il se trouve).

A contrario de ces étrangers « légitimes » sous protection diplomatique, il s’agira aussi de déterminer dans quelle mesure les ambassadeurs peuvent intervenir pour tenter de limiter, voire d’empêcher l’introduction et / ou l’insertion dans les États où ils sont en poste, d’autres catégories d’« étrangers » : soit parce qu’ils sont jugés utiles et qu’on cherche donc à les retenir dans leur pays d’origine pour éviter la « fuite des talents » ; soit, à l’inverse, parce qu’ils sont jugés indésirables pour l’État que ces agents représentent – notamment pour tous ceux contraints de trouver refuge à l’étranger pour des raisons confessionnelles ou politiques.

À partir de l’analyse et de la confrontation de différents types de corpus, l’objectif serait de mettre au jour, dans le temps long, les logiques et dynamiques d’une gestion diplomatique différenciée de ces étrangers privilégiés ou stigmatisés. Dans cette perspective, les deux journées pourront s’articuler autour des deux axes suivants :

1] le premier portera sur les modes d’enregistrement des différentes catégories de migrants, autrement dit sur l’étude de tous les documents relatifs à la sélection ou / et à la recension de ces étrangers, qui existent dans les sources diplomatiques et qui sont encore trop peu systématiquement exploités : les « listes » et « tableaux » dressés par les chancelleries des ambassades afin de dénombrer ces étrangers établis ou transitant dans les pays sous la juridiction de l’ambassadeur ; les lettres ou billets de recommandation fournis à un certain nombre de « privilégiés » en vue ou de leur connaissance ; les « sauf-conduits » et « passeports » délivrés aux étrangers pour voyager, séjourner et résider pour un laps de temps plus ou moins long. Ce faisant, on insistera tout particulièrement sur le glissement d’une logique de sélection fondée sur la « (re)connaissance sociale », à une logique de recension fondée sur « l’identification individuelle ». L’enjeu sera ainsi de s’interroger sur les raisons et les contextes qui incitent les agents diplomatiques à dresser ces recensions et à fournir ou refuser ces autorisations, tout en mettant aussi à jour les différents modèles de documentations en fonction des types de culture administrative spécifique des différentes chancelleries et ambassades européennes.

2] le second axe traitera des modalités d’intervention des ambassadeurs en faveur ou à l’encontre de certaines communautés (de nationaux / d’étrangers) auprès des autorités locales. Il s’agira ainsi d’étudier la manière dont les acteurs diplomatiques cherchent à obtenir l’extension, la réduction ou la suspension des privilèges et droits consentis à des individus ou à des communautés d’étrangers, qui ne sont pas nécessairement originaires de leurs propres pays mais sur lesquels ils estiment avoir un certain droit de regard voire un devoir d’intercession.

Cette intervention diplomatique « ciblée » se traduit par des modalités de négociations, voire de pressions spécifiques dont il conviendra à la fois de déterminer les destinataires (curiaux, ministériels et administratifs) et les déclinaisons (du point de vue de la nature, de la durée et des espaces des privilèges consentis ou contestés), en y incluant toutes les formes d’ingérence, notamment en matière judiciaire – lorsque l’ambassadeur prend fait et cause en faveur ou à l’encontre de certains inculpés ou bien lorsqu’il cherche à obtenir l’extradition de certains « criminels » réfugiés à l’étranger. Il s’agira ainsi de montrer en quoi la politique et la police des étrangers ne sont pas seulement définies à l’échelle des cabinets ministériels européens, mais sont aussi négociées avec les agents diplomatiques, en fonction des différents statuts qu’ils revendiquent à l’égard de ces étrangers : celui de « protecteur » (que leur confère, par exemple, la « garantie »), « d’allié » (dans le cadre, par exemple, des « Pactes de Famille »), ou encore « d’ami » (des patriotes, nationaux ou exilés, qui adhèrent aux principes politiques de l’État dont l’agent diplomatique est autant le représentant que le défenseur à l’étranger).

Enfin, une attention spécifique sera portée aux modes de justification, rhétoriques et juridiques, invoqués par les ambassadeurs auprès des autorités locales pour défendre ou dénier les « droits » de leurs ressortissants et de ceux des « étrangers » qu’ils protègent ou excluent. Quels mots sont utilisés pour qualifier ces « étrangers » sous protection diplomatique et pour les distinguer de ceux qui ne le sont pas ou qui ne le sont plus ? Quels arguments sont mobilisés pour plaider leur cause ou, à l’inverse, pour délégitimer leur présence ? Enfin, quelles normes juridiques sont convoquées pour justifier de telles demandes ? Ceux du droit public (traités), du droit naturel (droit des gens), ou bien de l’amitié entre États, princes ou nations ? Cette analyse des registres terminologiques et juridiques devrait permettre de déterminer ce qui définit, en pratique, ce fameux « droit d’hospitalité », théorisé dans tous les traités du droit des gens et sans cesse invoqué par les agents diplomatiques, mais qui se révèle toujours à géométrie variable, en fonction des intérêts, des espaces et des périodes envisagés.

En envisageant ainsi la manière dont les ambassadeurs participent pleinement des dynamiques de mobilité, d’intégration et de marginalisation des migrants, c’est donc aussi la définition même des catégories de « nationaux » et « étrangers » que les pratiques diplomatiques contribuent à construire.

Les propositions de communication composées d’un résumé (d’environ 500 mots) et d’une courte notice bio-bibliographique (5-10 lignes) sont à adresser au comité d’organisation, avant le vendredi 1er juin 2018, par mail, à l’adresse suivante : colloque.diplo.etranger.2018@gmail.com). Les communications pourront être présentées en anglais.

Colloque organisé par Naïma Ghermani (université Grenoble UGA – LUHCIE), Virginie Martin (université Paris 1 – IHMC/IHRF) et Niels May (Institut Historique allemand), en partenariat avec l’École Française de Rome (EFR).

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